Pas besoin de sondages pour s'en convaincre, l'opinion est indifférente au prochain scrutin municipal. Massivement et radicalement. Comme si le jeu électoral n'intéressait que ses seuls joueurs. La faute à qui ? On a tellement incriminé les partis politiques qu'il est suspect d'en rajouter. Leur tirer dessus, c'est justifié mais c'est aussi faire le jeu de tous ceux qui aspirent à faire le bonheur du peuple sans lui, malgré lui et peut-être bien contre lui. Qui sont ces gens ? Les adversaires de la démocratie sont d'une extraordinaire diversité. On y compte des esprits qui, sans rire, se disent «certifiés» par les meilleures écoles d'ingénieurs du monde. Ils confondent les mathématiques avec l'omniscience et cette dernière avec l'omnipotence. Et on y compte aussi des esprits illuminés pour qui la démocratie ne serait qu'une hérésie de l'Occident maudit et égaré. Ils revendiquent pour mission ici-bas un rôle de berger pour faire paître et les croyants et ceux qui ne croient pas comme eux. Coûte que coûte et en commençant, bien-sûr, par les femmes. C'est parce que la démocratie a beaucoup d'adversaires qu'elle a plus que jamais besoin d'amis et d'instruments. Et, parmi ceux-là, les partis sont indispensables. Quels que soient leurs programmes, pourvu que leurs mœurs soient démocratiques. Les divisions de leurs appareils, les vanités de leurs chefs, la répression, les ingérences et les manipulations administratives et policières n'ont pas peu fait contre les partis marocains. Mais elles ne sauraient tout expliquer. Dès l'Antiquité, à Athènes comme à Rome, la démocratie a commencé à périr du jour où les suffrages ont commencé à se vendre et s'acheter. L'argent s'est alors mêlé à la composition des Assemblées, à leurs votes, puis aux tribunaux et par contagion à toute la société. «Ce n'est pas sans raison, écrit Plutarque*, qu'on a dit que celui-là ruina le premier la démocratie, qui le premier donna des festins au peuple et qui fit des distributions d'argent». Il se dit que les élections les moins contestées au Maroc ont été les municipales de 1960. Il y a cinquante ans, les Marocains n'étaient ni plus instruits ni plus informés ni plus honnêtes qu'aujourd'hui. Leurs votes n'avaient pas de valeur marchande parce qu'il n'y avait simplement pas de politiciens pour les acheter. Le commerce qui, depuis, a submergé les opérations électorales a servi à avilir la vie politique. Il faut rendre justice aux esprits et aux organisations progressistes de leurs protestations contre ce fléau. Et reconnaître au nouveau règne d'avoir condamné la contrebande électorale. La gestion des affaires électorales a pris une physionomie plus décente depuis qu'elle est pilotée par une figure aussi intègre et apaisante que M. Chakib Benmoussa. Ceci crée de la déflation dans les transactions sur le marché des voix et expliquera, pour une part, le taux d'abstention au prochain scrutin. Pour le reste, la plaie est si profonde qu'il lui faudra du temps, beaucoup de temps, pour se refermer. * Plutarque, Vies parallèles, «Vie de Coriolan, chapitre 14», p.253, GF-Flammarion