Vous ne comprenez pas ce distinguo technico-diplomatique ? Il n'y a pas que vous. Le brave Premier ministre luxembourgeois n'y parvient pas davantage. La question des paradis fiscaux se complique. Le battage à leur sujet prend une ampleur mondiale. Bravo au G20. Côté spectacle, c'est réussi. Quatre malheureux pays se sont retrouvés sur la liste noire, et promis à des sanctions. Costa Rica, Malaisie, Philippines et Uruguay. Il circule pourtant moins de capitaux dans ces pays que sur les comptes de la seule Ile de Jersey ou des Iles Caïman. Mais ce n'est pas le sujet. Ce qui leur est reproché est politique. Coupables, par omission. Ils ont oublié, les distraits, de s'engager à signer - ne fut-ce qu'une fois et avec un seul Etat - une convention d'échange d'information fiscale. Leur cas a permis de nuancer l'opprobre jeté sur une liste de 38 autres où se retrouvent, pêle-mêle, Andorre, l'Autriche, Bahrein, la Belgique, Gibraltar, le Liechtenstein, le Luxembourg, Monaco, Panama, ou la Suisse. À ceux-là, il est reproché d'être «gris». Ils se sont bien engagés, un jour, en faveur de l'échange d'information fiscale, mais le nombre de traités qu'ils ont conclus – moins de 12 – est jugé insuffisant et non substantiellement appliqué. Vous ne comprenez pas ce distinguo technico-diplomatique ? Il n'y a pas que vous. Le brave Premier ministre luxembourgeois n'y parvient pas davantage. Pour éloigner la foudre qui gronde sur le Grand Duché, M. Jean-Claude Juncker s'épuise à montrer du doigt l'Etat américain du Delaware. Quatre fois moins peuplé que Casablanca ( 870.000 habitants), ce petit Etat domicilie plus de la moitié des 500 plus grosses fortunes et 43% des sociétés cotées à la Bourse de New York sans qu'elles y exercent aucune activité. Motif ? Pas d'impôt, sur les bénéfices, ni sur les revenus, et quasi pas de TVA. Alors de quoi parle-t-on ? Au sens du G20, un paradis fiscal n'est pas un lieu sans ou à faible fiscalité. C'est un pays qui oppose le secret bancaire à la justice des pays tiers. Dont la devise est «circulez, y a rien à voir». Un trou noir de l'espace économique mondial. Qui absorbe les produits de la turpitude fiscale des entreprises et des particuliers, en contrepartie d'un silence de mort sur leur identité et leur fortune. Qu'est-ce qui va changer ? Les quatre de la liste noire vont se dépêcher d'intégrer la liste grise. Et les 38 de la grise vont sprinter pour en sortir. Comment ? À ce jour, l'unique critère est de conclure un accord d'échange d'information avec au moins 12 Etats. Dérisoire ? Attendez, pas si vite. Que disent au juste ces accords ? Que le fisc ou le juge d'un Etat signataire peuvent accéder à l'information d'un autre signataire. Excellent, non ? Le hic est qu'il faut que le fisc ou le juge en question appuient leur demande sur des dossiers très détaillés, profondément instruits, avec des débuts de preuve de fraude ou d'évasion fiscale.Pas facile pour les pays riches, la chose relève de l'inaccessible pour les pays en développement. Tout le monde n'a pas le pouvoir des Etats-Unis qui, faisant plier la Suisse, viennent de récupérer les noms de leurs déposants auprès des banques helvétiques. Une solution serait une convention internationale qui institue, en faveur de tous les pays - indépendamment de leur puissance - l'échange automatique d'information fiscale. C'est alors seulement qu'il pourra être dit que «le secret bancaire est révolu». Par temps de crise, on peut rêver.