C'est la psychose dans les vingt douars de la région de Sidi Yahia Zaër après la tentative de kidnapping d'une fillette de 9 ans et l'enlèvement d'un écolier de 6 ans. Nous sommes au village de Sidi Yahya Zaër, à une vingtaine de kilomètres au sud de Rabat. Tout le monde est sous le choc. Durant les deux dernières semaines, Nadia Taouil, âgée de neuf ans, était, à quatre reprises, la cible de tentatives de kidnapping. Alors que Redouane Al Malki, âgé de six ans, a été enlevé, le matin du mardi 13 janvier. Depuis, il n'a plus donné signe de vie. Que se passe-t-il dans cette région ? Y a-t-il effectivement des kidnappeurs d'enfants qui y rôdent ? Que veulent-ils faire de ces enfants ? Les tuer et vendre leurs organes ? Les utiliser dans des rituels de charlatanisme? Se servir d'eux pour exhumer des trésors ? Plusieurs interrogations se posent. Et elles restent encore sans réponse. Car, l'enquête de la Gendarmerie royale n'a abouti jusqu'à aujourd'hui à rien. En compagnie de Najia Adib, présidente de l'association «Touche pas à mes enfants» (Matkich Wladi) qui partage avec les parents des victimes les mêmes soucis, ALM s'est rendu sur les lieux. Dès le centre du village jusqu'aux vingt douars de cette commune rurale qui s'étend sur une superficie de 542 km2, tous les habitants ne parlent que de la disparition de l'écolier Redouane et de la tentative de kidnapping de Nadia Touil. Presque tous les écoliers étaient accompagnés par leurs mères ou leurs pères, ce vendredi 16 janvier, à destination des six écoles primaires et des dix-huit annexes que compte la région. «Soit je l'accompagne à l'école soit elle reste à la maison», assure à ALM une femme que nous avons rencontrée sur notre chemin à destination du douar Maâgla, Machiakhat Zaâriyine, commune rurale de Sidi Yahia Zaër, préfecture de Skhirat-Témara. D'ailleurs, c'est dans ce douar que cette histoire de disparitions d'enfants a commencé avec l'écolière Nadia Touil. Mardi 30 décembre, c'était le jour du souk hebdomadaire. En compagnie de sa grand-mère, Nadia, âgée de neuf ans, poursuivant ses études en deuxième année d'enseignement fondamental, à l'école Idriss Ier, empruntait le chemin allant au souk. À mi-chemin, raconte Nadia à ALM, un homme barbu est descendu d'un pick-up et lui a fait un signe. «Il m'a demandé de le rejoindre», a-t-elle affirmé en sanglotant. Elle a avisé sa grand-mère qui ne l'a pas crue. Elle s'est moquée d'elle en lui disant: «Tu es folle. Qu'est-ce qu'ils veulent d'un enfant comme toi». Toujours selon Nadia, l'homme est monté dans un Pick-up conduit par une autre personne. Le lendemain, mercredi matin, Nadia était accompagnée de ses deux camarades. Toutes les trois venaient de quitter leur douar pour aller à pied à leur école. Elles devaient parcourir un chemin de plus de trois kilomètres. Tout d'un coup, un pick-up s'est arrêté juste devant leurs pieds. «Un homme en cagoule est descendu du pick-up et s'est apprêté de me retenir. Mais, on est arrivé à s'enfuir en criant», a balbutié Nadia qui n'arrivait pas à retenir ses larmes. L'après-midi, Nadia est retournée chez elle. Quand sa mère, femme de ménage chez une famille à Témara, est arrivée, le soir, elle lui a tout raconté. Le lendemain, elle l'a conduite à la brigade de la Gendarmerie royale de Sidi Yahia Zaër. «Personne ne nous a prêté attention», a confié à ALM Fatna, la mère de Nadia. La main dans la main, Fatna et sa fille Nadia ont rebroussé chemin sans savoir à quel saint se vouer. À bord du même pick-up, les présumés kidnappeurs ont barré le chemin à Nadia, une semaine plus tard. Cette fois-ci, Fatna n'a pas voulu demander l'aide des gendarmes. «J'ai décidé d'accompagner ma fille jusqu'à l'école avant d'aller à mon travail», a-t-elle précisé. Le matin du vendredi 9 janvier, Nadia s'est éloignée de quelques mètres de sa mère qui l'accompagnait à l'école. Aussitôt, selon Nadia, une voiture bleue à vitres fumées s'est arrêtée. Un homme barbu sans cagoule en est descendu. Alors que trois autres cagoulés sont restés à bord de la voiture avec les portières ouvertes. L'homme barbu et sans cagoule, selon Nadia, s'est approché d'elle. Et elle s'est réfugiée dans les bras de sa mère. «Oui, je les ai vus à bord de la voiture alors qu'ils portaient des cagoules», a confirmé la mère de Nadia. Aussitôt, elle a conduit sa fille à la brigade des gendarmes. «Je tremblais de peur. L'un des gendarmes a tenu la main de ma fille et m'a dit qu'elle est «zouhrie». Il m'a remis ensuite un bout de papier où est écrit son numéro de téléphone pour le contacter si les ravisseurs tentaient une fois encore de toucher ma fille», a confié la mère de Nadia à ALM. En fait, aucun procès-verbal n'a été consigné lors des deux visites de Nadia et sa mère à la brigade de la Gendarmerie royale. Pourquoi ? «Je ne suis pas au courant de l'affaire de Nadia. Je viens de l'apprendre», nous a affirmé le commandant de la brigade. Étrange ! Pourquoi ses éléments ne l'avaient pas avisé? Au moins, il aurait pris la décision de diligenter une enquête et empêcher que l'irréparable ne se produise. Il semble qu'ils ont cru qu'il s'agit d'une ruse d'enfant qui refuse d'aller à l'école. S'agit-il d'une négligence? «Il ne s'agit pas d'une négligence. Mais, peut-être, qu'elles sont venues au moment où nous étions plongés dans l'examen d'autres affaires. Ça nous dépasse parce que nous ne sommes que dix éléments dans la brigade de Sidi Yahia Zaer», nous a révélé un élément de la brigade de la gendarmerie. Nadia et sa mère n'ont pas été auditionnées officiellement par les gendarmes et un procès-verbal n'a été dressé de leurs déclarations que vendredi 16 janvier ! C'est-à-dire quatre jours après la disparition de Redouane Al Malki, âgé de six ans. Le frère de ce dernier, Lahcen, âgé de 12 ans, qui était en sa compagnie lors de son enlèvement a précisé à ALM : «C'est à bord d'une estafette blanche portant des plaques minéralogiques dont nous avons le numéro que trois personnes cagoulées ont tenté de kidnapper mon frère, le jeudi 8 janvier». Mais les deux frères, qui ne demeurent pas au même douar que Nadia, mais au douar Ouled Mellouk sont arrivés à s'enfuir. Lahcen qui se sent coupable parce qu'il n'a pas pu sauver son frère de ses ravisseurs a tout mémorisé. Il a remarqué que les ravisseurs, ce mardi 13 janvier, vers 8h 10 étaient cagoulés et étaient à bord de la même estafette qui leur avait barré le chemin, il y a quelques jours. Comment sont frère a-t-il été kidnappé? Les deux frères sont sortis en retard de chez eux, raconte Lahcen à ALM. Certes, ils n'en savaient rien. C'est la raison pour laquelle, ils se sont arrêtés à deux kilomètres de chez eux et à un kilomètre de leur école, Aïn Rabiâ, pour attendre leur cousin. Tout d'un coup, la même estafette s'est arrêtée juste à côté d'eux. Deux personnes en sont descendues. «Tous les deux portaient des jean alors que l'un portait un tricot de couleur rouge et l'autre un tricot noir», se rappelle Lahcen qui s'est fondu en larmes. Leur mère, Rkia, qui s'évanouissait du temps à autre pas encore cru ce qui est arrivé à son fils, Redouane. «Je n'arrive pas encore à concevoir ce qui est arrivé à mon fils. Je préfère qu'il décède devant mes yeux et que je l'enterre avec mes deux mains au lieu d'ignorer ce qui lui est arrivé maintenant», explique à ALM la mère de Redouane sur un ton plein de souffrance et d'amertume. «Je croyais, l'autre fois, quand ils m'ont raconté qu'une estafette leur a barré le chemin, qu'ils ont menti pour s'absenter de l'école. C'est la raison pour laquelle je n'ai pas pris leurs dires au sérieux», ajoute la mère effondrée. Les ravisseurs ont tenu Redouane chacun par une main. Son frère, Lahcen, a déployé tous ses efforts pour le tirer vers lui et prendre la fuite. Mais en vain. «Redouane était sous le choc, il n'a ni pleuré, ni crié ni demandé du secours», se souvient Lahcen qui ne sort plus de chez lui. Violemment, Redouane a été mis à l'intérieur de l'estafette. «L'un des ravisseurs m'a demandé d'informer Redouane que mon frère sera tué», affirme Lahcen. L'estafette a démarré à toute allure. En courant, Lahcen est retourné chez lui, a avisé sa mère. Alertée, la brigade de la Gendarmerie royale a effectué une opération de ratissage avec l'aide de la brigade canine. En vain. Elle a également enquêté sur le numéro d'immatriculation retenu par Lahcen. Il est faux. L'enquête se poursuit toujours pour tirer l'affaire au clair. En attendant, c'est la psychose totale dans les douars de la région. Tout le monde craint que l'un de ses fils ne soit un «zouhri». Les enfants «porte-bonheur» en ligne de mire Qu'est-ce qu'un enfant «zouhri»? D'abord, c'est un enfant qui intéresse les charlatans qui croient en l'existence de trésors gardés depuis des milliers d'années sous la terre par des diables et djinns appelés communément «âwarides». Ces charlatans estiment que l'exhumation de ces trésors nécessite une offrande qui doit être offerte au djinn-gardien afin qu'il parte et abandonne le trésor. C'est une sorte de pacte satanique entre le charlatan et le démon. Cette offrande ne sera autre qu'un enfant «zouhri», symbole de la chance. Pour les chercheurs de trésors, le «zouhri» présente quelques particularités. Soit il est blond avec des yeux très clairs qui présentent une sorte de dissymétrie. Soit il présente une ligne continue qui traverse la paume de la main. Soit il a des cheveux en tourbillon se tenant comme un tout petit palmier (n'khila). En fait, plusieurs charlatans participent à la cérémonie d'exhumation de trésors. Ces charlatans qui sont le plus souvent originaires de la région du Souss viennent avec un croquis et une description du lieu du trésor qu'on appelle communément «takyéda». En déterminant les lieux, selon eux, ils commencent à lire des oraisons qu'on appelle communément (taâzima) afin de chasser les djinns protecteurs du trésor (âwaride). Si ces «âwarides» sont plus forts que les charlatans, ils leur demandent de sacrifier un enfant «zouhri» ou de rebrousser chemin. C'est le moment où les charlatans n'épargnent aucun effort pour avoir un «zouhri». Ils recourent le plus souvent à son enlèvement après l'avoir localisé. En conduisant l'enfant zouhri vers les lieux où le trésor est gardé, ils n'hésitent pas à l'égorger atrocement pour l'offrir comme offrande au djinn. Si vous avez des informations concernant la disparition de Redouane Al Malki ou sur cette affaire, veuillez contacter : • L'Association «Touche pas à mes enfants» : Najia Adib Tél : 061-18-01-54 • La Gendarmerie royale de Sidi Yahia Zaër Tél : 037-61-92-16