Le 13 janvier 2009 fut une date noire pour la région de Sidi Yahya Zaer, à 20km de Rabat. Redouane El Malki, jeune enfant de 9 ans, a été enlevé par des barbus cagoulés sous le regard impuissant de Lahcen, son frère aîné. Toujours sous le choc, ce dernier se remémore la phrase que le ravisseur lui a soufflé : «Dis à ta famille qu'il va mourir». Il est anéanti. C'était au Douar Ouled Mellouk. Cinq jours avant l'enlèvement, une première tentative de kidnapping a eu lieu, mais les deux enfants avaient réussi à s'enfuir. Leur histoire n'affecte pas la mère qui ne pouvait nullement deviner ce qui allait suivre. Pourtant, les ravisseurs réitèrent la tentative et réussissent à enlever le jeune enfant des mains de son aîné, incapable de bouger le petit doigt face au choc. Malgré son effroi et l'image de Redouane, calme face à ses kidnappeurs, il parvint à retenir le numéro d'immatriculation de l'estafette blanche où son frère avait été placé. Un numéro qui s'avéra faux par la suite. «Je vérifie régulièrement le déroulement de l'enquête, mais il n'y a vraiment ni signe, ni preuve», affirme Najia Adib, présidente de l'association «Touche pas à mes enfants». Après l'enlèvement, la nouvelle fit le tour de tous les Douars de Sidi Yahya et la psychose s'empara des familles. Redouane El Malki était un enfant «zouhri». Les explications fusent de partout, mais la réalité est autre. L'enfant du trésor caché Le «zouhri» est un enfant qui n'a pas encore atteint l'âge de la puberté et qui possède certaines caractéristiques physiques particulières : des yeux très clairs et différents l'un de l'autre, une ligne continue traversant la paume de la main, des cheveux en tourbillon ou encore une petite tache au fond de l'iris. La légende atteste que le sang de ces enfants sert à exhumer les trésors cachés (El Kenz) gardés depuis des lustres par des djinns à qui l'on offre ce sacrifice. Autrefois (les époques ne peuvent pas être précisées), les terres, les puits et les cimetières faisaient office de «banque» pour de nombreuses familles qui venaient y cacher leurs richesses. Ces personnes emportaient généralement leurs secrets dans la tombe et ces trésors disparus à jamais devenaient (selon les dires) la propriété des djinns. Pour les retrouver, il fallait offrir à ces esprits le sang de ces enfants zouhris. Les adeptes de ce genre de croyances finissent par se spécialiser dans la recherche de ces petits anges. Ils se déguisent souvent en mendiants pour observer les paumes des mains qui leur tendent la monnaie et ainsi repérer celui qui leur portera chance. A l'aide d'un croquis indiquant l'emplacement du trésor, ces fkihs (souvent originaires de la région du Souss) localisent la source et lisent des oraisons appelés «Aâzima» à l'aide du «Demiati», la série des 99 attributs de Dieu pour pouvoir éloigner «les propriétaires» du trésor. Durant la cérémonie, l'enfant est égorgé et la direction que prend son sang en s'écoulant, désigne le lieu exact du butin. Cette pratique macabre continue d'être pratiquée dans une société qui a pourtant fait de grands pas vers la modernité. «Notre société reste encore conservatrice malgré la mutation très profonde que connaît le Maroc. Elle avance selon des traditions relevant de la croyance mystique qui n'a rien à voir avec le réalisme», indique Fouad Benmir, sociologue. Il explique qu'au Maroc, certaines visions échappent sérieusement à la raison. «Ces pratiques vont à l'encontre du développement et du défi que le pays s'est lancé. Cela montre à quel point la société est schizophrène». Les kidnappings d'enfants deviennent de plus en plus fréquents et les enquêtes restent souvent sans réponse, si enquête il y a Le malheur des uns ne fait rien aux autres «L'enquête de la gendarmerie a été bâclée. Il n'est pas étonnant dès lors que rien n'ait été découvert. Pour vous donner une idée de l'insécurité qui règne actuellement, sachez que mon deuxième fils vient d'être kidnappé. On lui a bandé les yeux et on l'a emmené dans une forêt. Il y est resté 2h30 et ensuite, puis on l'a déposé sain et sauf sur la route, à 7km de chez nous. Où sont les gendarmes ?», s'indigne Ahmed El Malki, le père de Redouane. Pour ce père brisé, les forces de l'ordre devraient redoubler d'efforts et essayer coûte que coûte de trouver des pistes. Six mois seulement après l'enlèvement, les gendarmes ont clôt l'affaire. Ils avançaient même de faux prétextes pour ne pas exposer les dernières actualités du procès. Les habitants de la région vivent toujours dans la peur de se retrouver un jour sans leurs enfants, allant même jusqu'à les accompagner en classe. «Depuis la disparition de Redouane, mon fils fait des cauchemars toutes les nuits et n'arrive plus à se rendormir», témoigne un habitant. Une petite fille de 9 ans, Nadia Taouil, a quant à elle échappé à quatre tentatives d'enlèvement. Toujours sous le choc, surtout après le kidnapping de Redouane, Nadia a quitté l'école, ne sort plus et a également du mal à trouver le sommeil. «Dès qu'elle voit une voiture passer, elle se cache et a peur qu'on l'enlève. Elle insiste à ce que je l'accompagne partout», raconte Fatna, sa maman, non sans peine. Elle compte pourtant la remettre à l'école, mais sera obligée de rester avec elle en salle de cours pour lui redonner confiance et la rassurer.