L'association marocaine de planification familiale rendra publique prochainement son étude sur l'avortement à risque. Celle-ci appelle à un débat national pour mieux comprendre le phénomène. «La pratique de l'avortement clandestin au Maroc augmente. Cette situation s'explique essentiellement par deux facteurs : le recul de l'âge du mariage et la liberté sexuelle. Etant clandestin, il n'y a pour l'instant aucune donnée statistique sur le phénomène. C'est pourquoi nous appelons à l'élaboration d'une étude épidémiologique qui comportera des chiffres sur cette pratique», affirme à ALM Mohamed Graigaa, directeur exécutif de l'Association marocaine de planification familiale (AMPF). La dernière étude exploratoire de l'avortement à risque de l'AMPF s'est intéressée au vécu et aux perceptions des acteurs concernés. Une enquête a été effectuée auprès de 23 femmes en situation de pré ou post- avortement et auprès de 47 professionnels de santé dont 20 sages-femmes et 5 gynécologues. Les femmes interviewées ont été recrutées au niveau des centres de l'AMPF des villes de Rabat et Témara. Les principaux résultats de cette enquête ont permis de montrer que la pratique de l'interruption volontaire de grossesse n'est pas réservée à une tranche donnée. Toutes les femmes, dans le cadre de cette étude, sont susceptibles d'accomplir un avortement clandestin, qu'elles soient jeunes, âgées, pauvres, aisées, instruites ou non, mères ou célibataires. Cette étude a également démontré qu'il s'agit d'une pratique ordinaire, banalisée, accomplie pour des raisons spécifiques selon les profils. Elle est également liée aux conditions de vie des personnes et ne met pas fondamentalement en cause le degré de connaissances en matière contraceptive. L'avortement est vécu comme une souffrance et un drame humain et social par les victimes. Sur un autre plan, un débat national sur l'avortement constitue l'attente exprimée par l'ensemble des personnes interviewées. Le débat permettra de répondre à plusieurs interrogations notamment sur la nature de l'acte d'avorter sur le plan religieux, sur les limites où il convient de circonscrire cette pratique (âge, cas, compétence…) ainsi que sur les dérives de cette pratique actuelle. «Un débat national s'impose, d'une part pour démystifier et mieux comprendre le phénomène, et d'autre part, pour dégager une prise de position et une politique consensuelle», relève M. Graigaa. Au Maroc, la loi actuelle n'autorise l'avortement qu'en cas de pathologies maternelles graves, pouvant mettre en danger la vie de la mère. Selon M. Graigaa, il faudrait étendre l'avortement dans certains cas en l'occurrence l'inceste, le viol et la maladie mentale. «Il faudrait également revoir la législation en vigueur dans la mesure où celle-ci s'inspire de la législation française qui ne prend pas en considération les spécificités de la société marocaine», souligne le directeur de l'AMPF. Cette étude de l'AMPF rappelle que la population cible, exposée aux risques liés aux avortements à risques (AAR), est constituée par les femmes en âge de procréer (15-49 ans). L'effectif serait de l'ordre de 8239 000, dont 52% seraient mariées, 42% sont célibataires et 6% sont veuves-divorcées-séparées. Dans une enquête de l'AMPF qui avait été conduite à Agadir et Fès, il avait été constaté que sur un effectif de 473 femmes âgées de 15 à 50 ans, 165 ont eu recours au moins une fois à l'avortement, soit 35%. Complétant cette enquête de l'AMPF, une étude en milieu hospitalier de Rabat a montré que 21% des femmes, ayant un antécédent d'avortement, y ont eu recours au moins deux fois ; 79% de ces mêmes femmes ont eu recours une fois à l'avortement. Au Maroc, les AAR, empêcheraient la réduction du taux de la mortalité maternelle et alourdissent les dépenses du système de santé. Selon l'Organisation mondiale de la santé, 13% des cas de mortalité maternelle sont liés à l'avortement.