Il y a deux lignes et deux seulement. Celle pour laquelle, avec des trémolos dans le stylo, tout est bon dans le meilleur des mondes possibles. Et celle qui à coup de raccourcis et de rancœurs recuites aime à décrire l'enfer. Ma précédente chronique était consacrée à évoquer ce que j'ai vécu dans l'enceinte des Nations unies lors du passage du dossier marocain pour son examen universel périodique. J'ai essayé de raconter le plus correctement possible ce que j'ai vu et ressenti. Ce n'est pas mon style de rapporter des faits précis. Je dépeins généralement une ambiance. Je m'entretiens avec des impressions, tout en étant conscient que, comme disait Bachelard, les impressions pensent mal. J'ai pu donc, ici ou là, forcer tel trait. J'ai dû, ici ou là, privilégier tel fait au détriment de tel autre négligé. Il y a cependant un fait avéré. Mon propos est un témoignage. J'étais là. Et j'ai donc parlé de ce que j'ai vu et entendu trois heures durant. Comment alors la presse marocaine, qui était quasi absente, a-t-elle relaté les faits ? De ce que j'en ai lu, c'est vraiment un cas d'école applicable à d'autres situations. Il y a deux lignes et deux seulement. Celle pour laquelle, avec des trémolos dans le stylo, tout est bon dans le meilleur des mondes possibles. Et celle qui à coup de raccourcis et de rancœurs recuites aime à décrire l'enfer. Ni d'un côté ni de l'autre, on ne trouve le juste milieu dans un pays élevé et gavé au rite malékite. A ceux qui proclament que le Maroc est le plus beau pays du monde répondent, avec des crécelles, ceux qui affirment mordicus que non, le Maroc c'est bien la Géhenne. C'est la surenchère des démagogies. La juxtaposition des dénis et la rivalité des surdités, voilà les sentiments que donne notre presse. La MAP et la télévision nationale font dans le Pathé Marconi, pour ne pas dire Maroconi, en se conformant au symbole du chien qui parle dans le gramophone. L'autre presse, plus privée qu'indépendante, la plume pleine de morgue, érige le dénigrement en credo. Elle a comme un goût détestable pour la seconde main pour ne pas dire la rumeur qu'elle place au rang de ligne éditoriale. Et le chétif lectorat avec ses 300.000 lecteurs, emplit de doute et de suspicion, en est tout béat, la bouche ouverte à pleines dents devant ces geysers de défouloirs verbaux. Des deux côtés, il y a quelque chose d'inquiétant dans cet appétit pour l'outrance et pour ce refus de la mesure. Dans cette incapacité de doser l'indignation et celle d'avoir simplement le goût des faits. Ridicule cette permanente indignation qui fait face à l'excès de satisfecit et de superlatifs. Le tout au nom du peuple qui ne lit même pas tant il est tourné vers les vrais soucis : vie chère, yeux rivés sur la pluviométrie, angoisse pour ses enfants face à une école malade ou frousse devant un hôpital aux insuffisances abyssales. Ce n'est pas le doute dans les institutions qui pose problème. Ce doute peut être même hygiénique. Ce qui est pathologique, c'est le systématisme. Il n'y a pas de plus grincheux que les Français, par exemple. Ils aiment tourner en dérision leurs institutions et peuvent être cruels avec. Mais ils les respectent et ils les défendent surtout quand il s'agit d'un extérieur lavage de linge. Le Marocain donne le sentiment piteux de ne croire en rien sinon la puissance céleste. Il craint les institutions plus qu'il ne les respecte… Parce que probablement qu'il ne se respecte pas lui-même.