Le festival Rawafid s'est clôturé dimanche dernier à Casablanca. Cette manifestation, dédiée aux créateurs marocains à l'étranger, a surpris par la qualité de la programmation. Son directeur, Aissa Ikken, en explique les fondements. ALM : Pourquoi avoir pensé à un festival dédié aux créateurs marocains immigrés à l'étranger? Aissa Ikken : L'idée est née il y a quatre ans. Le ministère de la Culture en est l'initiateur. Quand nous évoquons les Marocains résidant à l'étranger, nous pensons, en premier lieu, à des travailleurs qui gardent des liens avec leur pays en y injectant des devises. On soulignait très peu que parmi cette grande communauté, il y a des artistes. Des créateurs dont certains comptent dans leurs pays d'accueil. Le ministère de la Culture a adressé un courrier aux ambassades du Maroc à l'étranger, ainsi qu'aux organismes et associations susceptibles de l'aider à prendre contact avec les musiciens, danseurs, cinéastes et plasticiens exerçant à l'étranger. Nous avons été très surpris par la qualité et le nombre de ces personnes. Nous en découvrons d'ailleurs tous les mois, et ce dans des pays qui ne sont pas réputés constituer des foyers d'attractions pour les Marocains. Les membres du groupe Chalaban vivent par exemple en Hongrie ! Au bout de quatre éditions, la manifestation commence à faire parler d'elle. Et pour preuve, d'autres artistes nous font part maintenant de leur souhait de participer à Rawafid. Qu'est-ce qu'ils trouvent au Maroc ? Ils se ressourcent chez eux ! Nombre de musiciens, par exemple, fusionnent des chansons traditionnelles avec des rythmes occidentaux. Ils ignorent l'accueil que peut faire le public d'ici à leurs créations. C'est très important à leurs yeux ! Ils ont besoin de la confiance de ce public. C'est un gage de leur appartenance à cette nation. La preuve que leurs œuvres ont beau intégrer des éléments étrangers, les gens ne les renient pas pour autant. Ces artistes sont aussi les porte-parole de la modernité. Une création à la pointe de la modernité nous tient particulièrement à cœur. Il y a aussi l'émotion de retrouver ce public. L'année dernière, le responsable d'un groupe m'a confié, les larmes aux yeux, qu'il est venu un peu à l'aventure au festival. Mais quelle émotion après le concert ! Il n'a jamais pensé communier si fortement avec son public. Il n'a jamais senti ses racines vibrer aussi profondément. Que peuvent apporter les artistes vivant à l'étranger à ceux qui exercent ici ? Le choix culturel des artistes qui vivent ailleurs est en soi un apport considérable. Ces gens développent leur art dans une culture différente de celle de leurs parents. Ils acquièrent plusieurs éléments exogènes, sans leur sacrifier pour autant l'inspiration qu'ils puisent dans leur pays d'origine. Il existe ainsi une dialectique entre l'acquis exogène et la source endogène qu'il est nécessaire de vitaliser en renouvelant le contact avec le Maroc. Rawafid permet de maintenir un échange permanent entre l'artiste et son pays. Et ce lien d'une personne avec la terre de ses parents est aussi un échange entre son pays d'accueil et son pays d'origine. Quel bilan établissez-vous de la quatrième édition de Rawafid ? Le public n'a pas fait la sourde oreille à la manifestation. Près de 30 000 personnes ont assisté, chaque soir, aux concerts de la place Mohammed V. Ce chiffre a sensiblement augmenté le vendredi et samedi. De ce point de vue-là, Rawafid a été un succès ! Et nous nous réjouissons d'autant plus de l'affluence du public qu'il n'y a pas eu de débordement. La foule se défait, après les concerts, dans un calme parfait. Et même l'attitude de certaines personnes « turbulentes » est positive, dans la mesure où elles ne sont pas restées indifférentes aux prestations des artistes. La pire des choses est un spectacle qui ennuie si bien le public que les gens peinent à rester jusqu'à la fin. Les artistes invités n'ont pas ennuyé le public ! Quelles sont les innovations de cette édition ? Le concept de Rawafid a été étendu de façon à intégrer des artistes non marocains, mais qui évoluent en dehors de leurs pays d'origine. Le musicien Manu Dibango est un Malien qui vit à Paris. Le peintre Manuel Escobar Lehmann est un Chilien établi à Bruxelles. L'un et l'autre de ces deux artistes contribuent à l'enrichissement de la culture de leurs pays d'accueil. Ces pays ont aussi une culture dynamique, parce qu'ils ne se ferment pas à celles des autres. En invitant des artistes d'horizons divers, nous montrons tout simplement notre tolérance et notre ouverture aux cultures d'autrui. À terme, comment voyez-vous ce festival ? Je souhaite qu'il se développe de façon à se produire pendant les quatre saisons de l'année. La période de la manifestation est insuffisante pour se faire une idée des différents modes d'expression des Marocains vivant à l'étranger. Il existe des écrivains, des intellectuels qui peuvent animer des tables rondes ou donner des conférences dans les universités pendant l'année scolaire. Des expositions d'œuvres plastiques peuvent s'organiser durant l'année culturelle proprement dite. Un festival dédié au cinéma est envisageable. Les concerts de musique auront, quant à eux, lieu pendant l'été. Je déplore dans ce sens que d'autres institutions n'emboîtent pas le pas au ministère de la Culture. Elles n'ont pas encore pris assez conscience de l'importance des créateurs marocains qui vivent ailleurs. Elles n'ont pas encore compris, qu'en plus de l'urgence qu'il y a à maintenir un lien entre ces personnes et leurs pays d'origine, ces créateurs construisent des œuvres valables ici et ailleurs. Je ne connais pas beaucoup d'artistes ici qui peuvent se prévaloir de rayonner sur deux géographies distinctes.