Les principaux syndicats et associations culturels marocains ont organisé une conférence de presse pour protester contre les accords de libre-échange entre le Maroc et les Etats-Unis, mercredi dernier au théâtre Sidi Belyout de Casablanca. Avec des termes touchants, ils ont fait part de leur détermination à combattre jusqu'au bout le colosse américain. Bien sûr, on peut lancer un rire théâtral. Le cadre s'y prêtait. La réunion des principaux acteurs de la culture marocaine s'est déroulée dans une salle de théâtre glauque. Dans un espace assez représentatif de l'état général de la culture marocaine. Certaines assistantes ont préféré rester debout, repoussées par des sièges tachés d'une matière douteuse. Des sièges pour la plupart abîmés à l'image de la situation bancale de la culture. À l'arrière-fond de la scène, une banderole affichait rouge sur blanc deux slogans racoleurs : “Attakafa machi selâa“ (la culture n'est pas une marchandise) et “Défense de la culture nationale“. Bien sûr, les présidents et secrétaires généraux des différentes corporations avaient quelque chose de touchant lorsqu'ils se sont alignés sur la scène. Ils ont fait face aux spectateurs en s'asseyant sur le devant de la scène, les jambes pendants comme ceux d'écoliers désinvoltes. Seul Mostafa Bagdad a jugé indigne de son postérieur le plancher du théâtre de sidi Belyout. Le secrétaire général du syndicat libre des musiciens marocains s'est installé magistralement sur une chaise et a dominé tous les autres dignitaires de la culture. Des photographes ont immortalisé sa posture dominante. Bien sûr, on peut apparenter les cris d'indignation des intervenants aux aboiements d'un chiot qui espère faire peur à un colosse… N'empêche. Il se passe en ce moment une chose grave, et les regards de nombreux défenseurs de “l'exception culturelle“ sont braqués sur le Maroc. Hassan Nafali, secrétaire général du syndicat national des professionnels du théâtre, a exposé très clairement la situation. Le Maroc va conclure avant la fin du mois de janvier les accords de libre-échange avec les Etats-Unis. Si rien n'est fait, les productions culturelles seraient considérées comme n'importe quel autre produit commercial. “Il est impensable de mettre les biens et les services sur un pied d'égalité avec la culture“, a renchéri le cinéaste Nabil Ayouch. Que craignent les acteurs de la culture marocaine dans la mesure où ce qui est établi pour le Maroc l'est également pour les Etats-Unis ? Un rapport de force inégal. Ils appréhendent que la broyeuse américaine ne fasse qu'une bouchée d'eux, pour les mâcher, les lacérer, et les cracher, ensuite, parce qu'ils n'ont pas de jus. Combat entre David et Goliath, a lancé un intervenant. “Si nous avions les moyens de nous implanter dans leur territoire, nous n'aurions pas de crainte“, a ajouté Nabil Ayouch. Que demandent les intervenants ? Un quota de 50% réservé aux productions nationales. Le maintien des subventions de l'Etat aux troupes de théâtre, éditeurs, cinéastes et autres. Évidemment, le géant américain ne va pas faire la queue au tout petit ministère de la Culture pour lui réclamer une minuscule subvention. Il ne le fera pas aujourd'hui, ni très prochainement. Mais un accord est un accord, et il entérine des décisions à propos desquels il n'est pas possible de revenir. Qui peut prédire ce qui peut se produire dans cinquante ans ? Et puis, la résistance des Marocains s'inscrit dans un mouvement global : c'est la onzième coalition pour la diversité culturelle au monde. Lorsqu'on sait que les USA contournent l'OMC en établissant des accords bilatéraux avec chaque pays à part. Lorsqu'on sait que des négociations sont entamées avec trente pays dans différentes régions du globe, la résistance du petit devient un cri de liberté. Selon les intervenants, les responsables marocains ont été sensibles au bien-fondé de ce cri. Le principal acteur des négociations avec les Américains, Taeb Fassi Fihri ministre délégué aux Affaires étrangères et à la Coopération, leur a fait part de sa disponibilité à les écouter. Le temps presse toutefois, et il est d'autant porteur d'inconnu qu'aucun des intervenants n'est en mesure de donner des précisions sur le contenu de cet accord. Les acteurs culturels du pays sont toutefois déterminés à se faire entendre. Une réunion est prévue mardi prochain à 19 h au complexe Touria Sequat. Tout le monde est convié à ce rendez-vous.