En recevant le Chef de l'Etat libyen, Nicolas Sarkozy aura à gérer le deal que Paris avait manifestement passé avec Tripoli pour libérer les infirmières bulgares et le médecin palestinien. De tous les Chefs d'Etat que Paris vient d'accueillir depuis que Nicolas Sarkozy s'est installé à l'Elysée, le président libyen Mouammar Kadhafi est déjà en train de créer les étincelles par une sorte d'originalité naturelle qui l'a toujours distingué. La presse française, dans son ensemble, est déjà en train d'aiguiser les armes de la satire pour couvrir cet événement. Le «Guide» ne fait rien pour dissiper cette réputation. De la gigantesque tente bédouine qu'il compte planter dans les jardins de l'hôtel Marigny, passant par les quarante amazones chargées de sa protection et les quatre cents membres de sa lourde délégation, Mouammar Kadhafi provoque naturellement la moquerie. Et s'il faut ajouter à ce portrait ses costumes originaux aux couleurs vives, sa démarche hautaine et rigide de quelqu'un qui sent toujours le camembert, le leader libyen est assuré de garnir la besace des éditorialistes de saillies les plus drolatiques. Et ce pendant les cinq longues journées que dure son escapade parisienne. Bien avant son arrivée, Mouammar Kadhafi dont le régime a depuis longtemps été labellisé par les instances internationales de «terroriste», a déjà provoqué un débat sur le terrorisme. À la veille du sommet UE-Afrique de Lisbonne, il lâche une grenade qui fera beaucoup de bruit sur le bitume parisien : «Les superpuissances ont violé la légitimité internationale, le droit international et les Nations unies, et ont exécuté leurs décisions en dehors de ce cadre et donc il est normal que les faibles aient recours au terrorisme». Il n'en fallait pas plus pour que les détracteurs de Nicolas Sarkozy se jettent sur cette opportunité pour marquer leur opposition à cette visite. François Hollande, premier secrétaire du Parti Socialiste s'insurge : «Accueillir Kadhafi en visite d'Etat, le recevoir avec égard à l'Elysée, lui assurer la gratitude de la France pour la libération d'infirmières injustement détenues en Libye, c'est fermer les yeux devant la réalité du régime Kadhafi qui s'est compromis avec le terrorisme hier et le justifie aujourd'hui». Les autres symboles de l'opposition sont montés sur leurs grands chevaux. Au «très choquant» de Ségolène Royal avait fait écho le «c'est indigne» de François Bayrou, tandis que Bernard Henry Lévy tranche : «On n'invite pas un grand terroriste et un preneur d'otages international». En plus de cette polémique sur «les conceptions» libyenne du terrorisme, Nicolas Sarkozy aura à gérer le deal que Paris avait manifestement passé avec Tripoli pour libérer les infirmières bulgares et le médecin palestinien. Un troc honteux, tonne l'opposition. Par ailleurs, la visite de Mouammar Kadhafi recèle un enjeu économique et industriel majeur pour la France. Nicolas Sarkozy qui, en excellent représentant, ne rate aucune visite à l'étranger pour vanter les dynamismes et l'attractivité des entreprises françaises, sait les énormes opportunités que lui offre le marché libyen. Elles ont été résumées par le fils Kadhafi, Seif Al Islam dans un entretien au «Figaro» : «Nous allons acheter pour plus de 3 milliards d'euros d'Airbus, un réacteur nucléaire, et nous voulons aussi acheter de nombreux équipements militaires. Nous négocions sur les Rafale. Des compagnies françaises ont remporté des marchés importants, comme, par exemple, la construction du nouvel aéroport de Tripoli. Suez et Veolia ont aussi remporté des contrats importants dans le domaine de l'environnement». Seif Al Islam est régulièrement présenté comme l'héritier naturel du Raïs libyen. Et si, en honorant sa commande d'acquérir des avions auprès de l'industriel Dassault, Mouammar Kadhafi devenait le véritable sauveur de l'avion militaire français «Rafale». Après sa mésaventure sur la marché marocain, le Rafale vient de connaître un dangereux accident industriel lorsque qu'un fleuron de ses meilleurs spécimens utilisé par l'armée de l'air française s'était écrasé en Corrèze lors d'une mission d'entraînement. Le pilote n'ayant pas eu le temps de s'éjecter, est porté disparu. Pour le Raïs libyen, Paris, qui lui déroule le tapis rouge, vaut bien les énormes contrats qu'il s'apprête à signer. Il sait que la France lui ouvre les portes d'une Europe qui l'a si longtemps snobé. Les autres capitales n'auront plus de scrupules à ouvrir leurs châteaux à l'ancien pestiféré devenu brusquement fréquentable.