Il y a comme ça des villes dont les murs parlent, leurs artères respirent le charme et leurs venelles le mystère. Tanger, plusieurs vies en une et de nombreux amants. Mohamed Choukri, encore lui : «Elle est belle, et son histoire est si vieille…» L'Europe au loin, pas très loin en fait ; à vue d'œil. Dans sa tombe, la nuit n'a pas dû être très bonne pour Mohamed Choukri. Il aima tant Tanger. L'auteur du «Pain nu» y connut sa misère et y savoura sa gloire. Il répétait et l'a même écrit quelque part «qu'on dit que Tanger pleure celui qui ne la connaît pas et qu'on la pleure quand on l'a vue. Celui qui en tombe amoureux souffre à en mourir»*. S'il pouvait la voir aujourd'hui. Ses périphéries et leur misère existent toujours, mais la cité du détroit, du haut de ses murs, tutoie de nouveau la confluence de l'Atlantique et de la Méditerranée. Elle mue, elle mute, elle embellit. Ce n'est pas la gueule de bois qu'affectionnait Mohamed Choukri chaque petit matin qui commençait rarement chez lui avant le début de l'après-midi, mais la déception. Seulement le vague à l'âme et le goût de l'inachevé avec son lot de regrets et de consolation. Tanger n'organisera pas l'Exposition universelle de 2012. Mais elle a battu la Pologne et n'a été distancé par le dragon coréen que d'une poignée de voix. Celles de nos amis et frères africains. Il y a comme ça des villes dont les murs parlent, leurs artères respirent le charme et leurs venelles le mystère. Tanger, plusieurs vies en une et de nombreux amants. Mohamed Choukri, encore lui : «Elle est belle, et son histoire est si vieille…» L'Europe au loin, pas très loin en fait ; à vue d'œil. Sa grotte d'Hercule et Hercule lui-même qui a eu la malencontreuse idée de séparer l'Afrique de l'Europe à cet endroit précis. Eugène Delacroix en a peint dans les années trente du dix-huitième siècle quelques contours et a dépeint ses gens en toute simplicité : «Ils sont plus près de la nature de mille manières. Leurs habits ; la forme de leurs souliers. Aussi la beauté s'unit à tout ce qu'ils font […] Le beau court les rues : il y est désespérant, et la peinture ou plutôt la rage de peindre paraît la plus grande des folies.»**Ne pleure pas, Tanger. Tu as pour toi ton passé et aujourd'hui l'avenir. Il suffit de regarder du côté du port, le nouveau, sans rien renier de l'ancien. Avez-vous déjà vu le phare chérifien de Cap Spartel. Un jour, je devrais vérifier s'il existe toujours. A lui seul un monument. Abdelkader Timoule rapporte qu'il fut édifié sur instruction du Sultan Mohammed Ben Abderrahmane en 1860. «La liste des sinistres maritimes de la côte brumeuse de Tanger était déjà longue lorsque […] fut entendu à Fès l'appel du monde de la navigation. C'est les grottes d'Hercule qui procureront une meulière facile à tailler et inaltérable, des consoles, des encadrements de baie et l'escalier de pierre intérieur.»*** C'est Tanger. Pas mieux qu'elle pour faire fleurir le champ du réel par la légende. En l'an 42, elle était capitale de la Mauritanie tangitaine ; en 1923, elle devint ville internationale et le 9 avril 1947 elle abrita le discours de Tanger dans lequel feu Mohammed V annonça l'inexorable marche pour l'indépendance. Dans l'univers de la mythologie, ce n'est pas loin de Tanger qu'Ulysse, héros mythique de la Grèce antique, fut pris par la reine Calypso et détenu pendant dix ans. C'est dans ses parages que les navires cherchaient les jardins des Hespérides, verts, forcément verts, dont les fruits procuraient l'immortalité. Et une jolie description, celle d'Attilio Gaudio : «la baie de Tanger, havre magnifique de ce belvédère du Maghreb.»**** Non, pas une larme, Tanger, ça n'en vaut pas la peine. Dis-toi bien, que tout compte fait, c'est l'Exposition universelle qui ne te méritait guère. *Le temps des erreurs ; Ed Seuil ** Le Maroc de Delacroix ; Maurice Arama ; Ed Jaguar, *** L'histoire photographique du Maroc, 1873 - 1934 ; ed Sonir **** Maroc du Nord ; cités andalouses et montagnes berbères ; Nouvelles Editions Latines.