Ce contexte complexe réclame une pédagogie immense. C'est un des rôles de la presse. Pas plus qu'on ne peut avoir de démocratie sans démocrates, il ne saurait y avoir une vraie liberté d'expression sans journalistes dont l'exercice comporte des droits majeurs et non négociables mais aussi des devoirs immenses, non moins négociables. Le Maroc a un immense besoin d'un débat profond et dépassionné sur sa presse. Il doit être porté avec lucidité et courage. Et un chouïa d'honnêteté. Car à ne pas y prendre garde, la liberté d'expression peut se mourir de l'expression libre et sans retenue. Le pays, il est vrai, semble vivre une forme de Movida contrariée, corsetée. Il est avec le nouveau règne, engagé dans trois chantiers parallèles dont deux fortement dynamiques et un troisième en ruine. Chacun de ces chantiers charrie et provoque, dans ses sillages, ses propres contradictions… inévitables. Il y a ainsi le chantier économique qui déploie une énergie considérable. Le pays est en construction. Les pelleteuses tournent à plein régime. L'effort n'est ménagé pour aucune région, du Nord au Sud. Cette dynamique reste, en revanche, obérée par la prégnance de la pauvreté et du chômage. Comment se fait-il qu'un pays comme le nôtre ait un tel besoin de maçons, de plombiers, de chefs de chantier tout en ayant une force de travail considérable qui se morfond dans le chômage, l'oisiveté et le rêve de partir sous d'autres cieux ? Curieux n'est-ce pas ? Le second chantier à forte charge se traduit dans la dimension symbolique. Vu sous cet angle, le Maroc connaît un élan réformateur sans précédant. Il suffit de citer la lecture courageuse du passé mondialement plébiscitée ou des textes, comme la Moudawana, qui érodent les archaïsmes, exigences impérieuses pour une société moderne. Le dernier chantier, lui véritable ruine, est au niveau politique. Cet espace est tellement délabré que l'Irak, à côté, est une rigolade : une carte politique illisible produite par une profusion qui favorise la confusion. Des zaïms, ombres d'eux-mêmes, radotant un langage que les trois quarts du pays ne comprennent pas. Des partis en guise des petites PME, presque familiales ou tribales, sous le joug de petits Tyrannosaures qui parlent avec gourmandise et schizophrénie de démocratie. Une relève qu'on refuse d'aider à s'élever… Ce contexte complexe réclame une pédagogie immense. C'est un des rôles de la presse. Pas plus qu'on ne peut avoir de démocratie sans démocrates, il ne saurait y avoir une vraie liberté d'expression sans journalistes dont l'exercice comporte des droits majeurs et non négociables mais aussi des devoirs immenses, non moins négociables. Or que constate-t-on ? La profusion des titres est similaire à celle des partis d'où la confusion. Des titres phares, des hebdos notamment, l'un abordant courageusement le chantier des tabous. Et l'autre entreprenant une guerre systématique, obtuse et sans nuances avec la Constitution. Portés par des jeunes talentueux, ils apparaissent comme les enfants gâtés et capricieux de la transition démocratique. A côté, des quotidiens partisans devenus aphones et inaudibles. Enfin des titres dits indépendants. Ceux là, ils développent un esprit de griserie et du populisme nauséeux. Ils fabriquent industriellement la suspicion et n'hésitent pas à recourir à l'injure. Leur credo, dire sans entraves ni limites. On y trouve même des success story qui réussissent sous le régime des sociétés à irresponsabilité illimitée.