La Belgique se trouve, depuis hier, au bord d'une crise de régime d'une gravité sans précédent qui risque de provoquer un divorce entre Flamands et Francophones, divisés par les querelles linguistiques. Cent cinquante jours après les élections du 10 juin dernier, le moment de vérité est arrivé dans les négociations entre libéraux et démocrates-chrétiens, qui tentent sans succès depuis cinq mois de bâtir la seule coalition de gouvernement possible. Si les pourparlers ont progressé sur les dossiers sociaux et économiques, pour lesquels un compromis est pratiquement prêt, la formation du gouvernement risque d'échouer en raison d'un problème apparemment insoluble entre les deux communautés. Le caricaturiste du quotidien belge Le Soir résume bien la gravité de la situation lorsqu'il dessine le roi Albert II coiffé de sa couronne appelant au téléphone le président français pour lui demander : «Au pire, Monsieur Sarkozy, vous viendriez nous chercher en avion, ma femme et moi?». Jusqu'à présent, les négociateurs, qui ont battu, lundi, le record de durée pour la formation d'un gouvernement, avaient soigneusement évité de traiter la véritable bombe à retardement que constitue le droit des Francophones vivant dans la périphérie flamande de Bruxelles - ils sont de 120.000 à 150.000 - de voter pour des listes électorales francophones. Ils peuvent pour le moment exercer ce droit grâce à l'existence de l'arrondissement électoral bilingue de Bruxelles-Hal-Vilvorde (BHV), qui dépasse largement les limites de la région bruxelloise, peuplée à 85% de Francophones. Les partis flamands, tous unis sur ce dossier, exigent la scission de BHV afin de faire respecter la frontière linguistique fixée en 1962, ce qui délimiterait les contours d'un futur Etat flamand si le pays devait éclater. Les partis francophones veulent de leur côté obtenir des compensations à une éventuelle scission de BHV, ce qui prendrait pour eux la forme d'un élargissement de la région de Bruxelles, zone bilingue, à certaines communes de la périphérie. Pour les Flamands, il s'agit d'une provocation, puisqu'il leur faudrait céder une partie de leur territoire en assurant du même coup une continuité territoriale entre la Wallonie et Bruxelles, ville francophone enclavée en Flandre. Le démocrate-chrétien flamand Yves Leterme, qui a été chargé par le roi de former une coalition « Orange bleue », mélange des couleurs politiques traditionnelles des partis en négociation, a dû sortir du bois mardi sur le dossier de BHV. Faute de perspective d'accord négociée sur ce point, tous les partis flamands ont en effet annoncé qu'ils voteraient, mercredi après-midi, la scission de BHV sans compensation en commission de l'Intérieur de la Chambre des représentants. Sur le papier, l'issue du vote ne fait aucun doute: les Flamands, qui représentent 60% de la population du pays, y disposent automatiquement d'une confortable majorité. Mais un tel coup de force serait lourd de conséquences. • Yves Clarisse (Reuters)