Dans la jungle des petits boulots et des CDD, les femmes éboueurs, agents de collecte et d'entretien, font leur entrée. Ces anonymes en uniformes verts mènent une vraie guerre contre l'insalubrité. Chaussant des bottes et armées de balais et de pelles, elles prennent chaque jour d'assaut les rues, boulevards et avenues de la ville. Chaque matin, elles virevoltent avec finesse de rue en rue à la chasse aux ordures et déchets, fruits de l'insouciance des passants. La vue de leurs balais donne l'impression d'une ville en fête. Déjà habituées à ce genre de besognes dans leurs foyers, elles effectuent ces gestes avec une grande finesse et une peine presque imperceptible. Avec ces femmes, Fès est devenue semblable à une grande maison qu'il faut nettoyer chaque jour. Nadia, jeune brune au corps amaigri, collecte les ordures et les feuilles mortes sous le regard des hommes attablés au café du coin. Asthmatique, cette jeune femme est mère de 3 enfants dont le plus âgé a 12 ans. Son mari vient tout juste de sortir de prison pour une affaire de chèque sans provision. «Je n'ai jamais pensé que j'allais faire ce métier, mais ce sont des conditions particulières qui m'ont obligé à y plonger», confie cette femme pour qui tenir un balai dans la main vaudrait mieux qu'une vie de mendicité et d'humiliation. Ce métier qui n'a rien de déshonorant a attiré plusieurs jeunes filles et même des femmes âgées depuis qu'une société de nettoyage a décidé de donner un coup de féminisation à ses effectifs. De 4 heures jusqu'à 11 heures du matin ou bien de 11 h jusqu'à 18h, elles répètent presque instinctivement les mêmes gestes, été comme hiver. Derrière une benne, c'est Salma qui nous parle le sourire à la bouche. «Je ne sens plus le froid ni la chaleur du temps. Je sais que je dois travailler pour nourrir ma famille», dit-elle. Avec le temps, elles se sont habituées aux changements climatiques, à l'odeur souvent pestilentielle que dégagent les bennes à ordures et aux exigences physiques que requiert leur emploi. Les bas salaires dans cette branche sont dus à l'externalisation des services de la commune. Les services comme le nettoyage sont sous-traités, c'est-à-dire effectués par une entreprise privée. Celles-ci cherchent à offrir leurs services au prix le plus avantageux, tout en restant compétitives sur le marché. C'est ainsi que les coûts relatifs au personnel sont malheureusement réduits. A voir leurs revenus pas trop mirobolants et les risques auxquels elles sont exposées, on s'attendrait à un certain ralenti ou inefficacité dans leur travail. Au contraire, elles s'activent et créent une ambiance spéciale une fois sur le terrain. Métier certes éreintant pour cette nouvelle génération de femmes éboueurs, leur enthousiasme demeure toutefois étonnant et surtout intact. Car, face à l'hostilité des patrons à l'appartenance syndicale, et face au défaut de déclaration à la Caisse nationale de sécurité sociale, elles continuent de résister. Même la dureté de leurs collègues hommes semble se dissiper. «Au début, ils ne digéraient pas notre présence. Ils profitaient de chaque petite maladresse de notre part pour nous offusquer. Avec le temps, la plupart d'entre eux ont appris à nous respecter en tant que femmes », confie Naîma, jeune agent de nettoyage. Pas loin d'elle, Khadija partage avec fierté sa joie lorsqu'elle a appris à conduire un engin aspirateur. Heureusement qu'elles vivent de petites victoires quotidiennes. Contre la précarité financière, la précarité des moyens du travail, la saleté, et surtout contre l'insouciance et l'inconscience de ces promeneurs ou passants qui ne savent marquer leur passage que par des ordures.