Les manifestants répondent au doigt et à l'œil à de simples indications, qui en la circonstance, apparaissent comme des injonctions strictes. Bien que les moyens soient rudimentaires, l'organisation, elle, reste de type politico-syndicaliste. Ils connaissent par cœur les mots d'ordre qui sont ânonnés sous forme de chants ou de mélodies connues et détournées. Rabat vit régulièrement des processions étranges. Chaque jour que Dieu fait, les boulevards de la capitale assistent, impuissants, à des défilés de chômeurs diplômés. Les organisateurs qui, semble-t-il, ont compris que l'art de la pédagogie tient dans la répétition reviennent quotidiennement et inlassablement au même moment et aux mêmes endroits. Des défilés modestes mais incessants tant les manifestants sont endurants et assidus. Ils se déploient surtout à l'heure de sortie des bureaux n'ignorant pas que, pacifiquement, ils provoquent un maximum de désagrément. Ils obstruent les artères névralgiques du centre avant d'aller au Parlement pour un sit-in ponctué de slogans psalmodiques. Mercredi, je me suis longuement arrêté pour scruter la composition de ces cortèges. Et franchement, s'il ne faut pas se fier aux apparences, on a quand même l'impression d'avoir affaire à des diplômés relativement plombés. Le cortége laisse, sur son passage, un sentiment ambigu. Ni tout à fait de la pitié ni vraiment de la compréhension. Plutôt une impression de gâchis et de malaise. Dans la houle, il y a beaucoup de visages défaits, presque cassés. Rares sont ceux qui ont vraiment les marques de jeunesse. Le temps a fait son œuvre. Et l'âge a comme grignoté les traits de l'étudiant. Ce sont des adultes qui crient leurs détresses d'être inutiles. Il reste qu'ils sont peu à inspirer le dynamisme et l'audace. Les casquettes pour les hommes ou les foulards de rigueur pour la majorité des femmes ont du mal à dissimuler cette réalité. Ces défilés sont trop disciplinés pour ne pas être sous la houlette d'un commandement studieux. Les manifestants répondent au doigt et à l'œil à de simples indications, qui en la circonstance, apparaissent comme des injonctions strictes. Bien que les moyens soient rudimentaires, l'organisation, elle, reste de type politico-syndicaliste. Ils connaissent par cœur les mots d'ordre qui sont ânonnés sous forme de chants ou de mélodies connues et détournées. Le tout, il faut le dire, dans une ambiance un peu boy-scouts. S'ils défilent avec la régularité d'un métronome, ce n'est pas nécessairement dans l'harmonie. Avant-hier, il y avait au minimum trois ou quatre groupes qui, tout en marchant ensemble, tentaient de se distinguer soigneusement. Des docteurs, des aveugles et d'autres. Ce qui, en revanche, est remarquable, c'est que les badauds n'y prêtent même plus attention. Seuls les automobilistes et autres taxis semblent s'exaspérer par la thrombose provoquée par ces caillots humains. Mais ce mouvement n'est pas sans inspirer de l'inquiétude. Chaque Marocain peut légitimement s'interroger sur l'avenir de ses propres enfants en voyant ce spectacle. Ces défilés, loin d'être des démonstrations de force du mouvement, sont le témoignage de l'effondrement abyssal du système éducatif et d'une université qui fabrique massivement des mutilés que le marché récuse parce qu'inadaptés. Pour preuve, la revendication des manifestants n'est pas pour le travail, mais pour l'intégration dans la fonction publique considérée comme un refuge.