Michelle Alliot-Marie peut toujours justifier son absence de la scène politique et médiatique en arguant qu'elle se livre à un travail en profondeur sur des sujets qui ne tolèrent pas de publicité excessive. Pour bien tester l'ampleur du phénomène, un simple quiz politique est largement suffisant : A quand remonte votre dernier souvenir d'avoir vu sur un écran de télévision, entendu sur les ondes d'une radio ou lu dans un journal une déclaration de Michelle Alliot-Marie, ministre de l'Intérieur, quatrième personnage du gouvernement? La longue hésitation bégayante accompagnée d'un froncement de sourcils et d'un grattage nerveux du cuir chevelu en dit long sur la totale disparition du personnage. L'évaporation de MAM, comme on l'appelle moins par intimité que par fainéantise, dans les limbes de la place Beauvau. Et pourtant Michelle Alliot-Marie, la femme des premières fois, première dame à occuper le poste de ministre de la Défense, première femme à diriger un parti politique (RPR), n'est pas une femme à se cantonner dans le confort anonyme d'une obscur cabinet ministériel. C'est un personnage d'actions et d'ambitions comme le laisse voir son goût original pour le rugby, un sport de contacts virils, de sueurs et de sang, et sa démarche raide d'un officier de la couronne britannique. Elle avait renoncé à la dernière minute à la tentation de croiser le fer des présidentielles avec Nicolas Sarkozy au sein d'une droite fascinée par l'expérience des primaires. Depuis qu'elle a été nommée au poste très recherché de ministre de l'Intérieur, fruit manifeste de son ralliement à l'écurie Sarkozy, on l'a dit «en résidence surveillée» à la place Beauvau. Ses compétences ont été étroitement délimitées et partagées avec Brice Hortefeux, le ministre du tout nouveau et, néanmoins polémique, ministère de «l'Immigration et de l'identité nationale». Et elles risquent de l'être d'avantage avec la création en cours d'un Conseil national de la sécurité (CNS) directement attaché à l'Elysée, une reproduction du modèle américain. Michelle Alliot-Marie est aphone même quand elle évoque la permanence de la menace terroriste qui pèse sur la France : «La lutte contre le terrorisme, c'est une de mes priorités, je l'ai bien connue lorsque j'étais au ministère la Défense. Cela devient aussi une préoccupation majeure». Alors que le souvenir est encore frais dans les mémoires d'un Nicolas Sarkozy alors ministre de l'Intérieur, omniprésent dans les médias pour évoquer le moindre incident dans la plus lointaine des banlieues. Il est vrai qu'en ce temps préélectoral, l'insécurité colorait en rouge les Unes des journaux télévisés et la titraille des éditoriaux. Le sujet était un des rares thèmes prétextes qui justifiait une intrusion quotidienne et permanente du candidat, ministre de l'Intérieur. Aujourd'hui comme par un coup de baguette magique, cette thématique de l'insécurité semble avoir disparu des préoccupations quotidiennes des Français. Les banlieues seraient devenues plus sûres, les bandes organisées moins nerveuses et les forces de l'ordre moins stressées. Ce qui prouve, a posteriori, une amplification volontaire du phénomène et une exagération à desseins. Dans la bouche de MAM, cette insécurité tant combattue par son prédécesseur avec son zèle et son implication inimitables, est devenue un phénomène de délinquance «dure et violente» à combattre par «un nouvel élan» et une «police localisée». Michelle Alliot-Marie peut toujours justifier son absence de la scène politique et médiatique en arguant qu'elle se livre à un travail en profondeur sur des sujets qui ne tolèrent pas de publicité excessive comme la définition précise du cahier des charges de la police de proximité, un sujet qui fait débat au plus haut sommet de la hiérarchie, le rapprochement controversé entre policiers et gendarmes très attachés à garder leur statut militaire, la mutualisation des moyens et la possible fusion de la Direction de la surveillance du territoire (DST) et les Renseignements généraux (RG). Michelle Alliot-Marie le précise dans une de ses rares interviews (Le Monde daté du 9 juin) : «Nos services de renseignement ont des cultures différentes. Les mettre dans un même lieu, à Levallois-Perret, permettra d'améliorer leurs échanges (…) Je ne pense pas qu'à court terme, il soit possible ou utile d'aller au-delà. L'idée d'une fusion me paraît pour le moins prématurée».