Jamaâ Mezouak a été décrit, ces trois dernières années, comme une fabrique de kamikazes. Au-delà de ces aspects, on découvre un quartier pauvre qui manque de tout. Retour sur les lieux d'enfance des frères Ahmidane. Dans cet immense quartier populaire, les habitants gagnent généralement leur vie de la vente des légumes et fruits qu'ils achètent de Bahroura, région faisant partie de Jamaâ Mezouak mais dont la population vit toujours de cultures vivrières. D'autres ont choisi le commerce d'articles de contrebande qu'ils acquièrent à Sebta. Mais leur rêve demeure de parvenir à l'autre rive. Lorsqu'ils parlent de leur projet d'émigration, ils évitent d'aborder le mauvais sort d'une vingtaine de jeunes, originaires de Jamaâ Mezouak et impliqués dans les attentats du 11 mars 2004 à Madrid ou ceux commis dernièrement en Irak. Ils nient avoir connu ou entendu parler d'eux. Et lorsqu'ils font confiance à leurs interlocuteurs, ils justifient leur comportement par le geste irresponsable de quelques médias étrangers qui «ont déformé (leurs) propos, ce qui (leur) a causé des ennuis avec la police», déplorent les proches et parents des présumés impliqués dans des actes terroristes. Dans une petite maison située dans une ruelle en face de la mosquée Jamaâ Mezouak vit la famille de Jamal Ahmidane, l'un des principaux accusés dans les explosions de la gare d'Atocha. Sa mère, Rahma Ahmidane, 52 ans, garde un peu de son caractère jovial. Mais elle n'arrive toujours pas à admettre que son fils soit capable de participer à ces attentats. Elle déclare être la dernière personne à avoir entendu la voix de Jamal avant de se donner la mort au cours du suicide collectif de Leganès le 3 avril 2004. «Il m'a dit qu'ils sont assiégés de partout par les forces et les hélicoptères de la police espagnole. Je me suis évanouie et lorsque j'ai repris conscience, quelques minutes après, j'ai vu l'immeuble où il y a eu l'explosion à la télévision». Mme Ahmidane est mère de 13 enfants. Neuf des ses enfants sont partis il y a près d'une vingtaine d'années en Espagne. «Jamal était marié à une Espagnole dont il a eu un enfant âgé maintenant de 15 ans. Il aimait la vie et n'a jamais fait partie des islamistes radicaux. Il accomplissait sa prière et faisait le Ramadan comme tout musulman croyant. Nous avons toujours été parmi les familles musulmanes modérées», confie-t-elle. Sept des fils Ahmidane résident à Madrid. Jabir Ahmidane, 23 ans, était sur le point de voir sa situation régularisée. «Mais avec l'implication de Jamal dans les attentats de Madrid, j'ai été arrêté par la police et extradé au Maroc. Depuis, j'ai réussi cinq fois à me rendre en Espagne. J'ai épousé une jeune Espagnole en prison à Madrid et je suis déterminé à y retourner», déclare Jabir. Selon ce dernier, ses frères et lui ne pourront jamais mener une vie calme en Espagne. Tous les commissariats de la capitale madrilène affichent leurs photos. «Mes deux autres fils, Mustapha et Abdellilah purgent une peine de trois ans de prison pour séquestration alors qu'il s'agissait d'un simple conflit entre eux et l'un de leurs amis qu'ils recevaient chez eux», rapporte Mme Ahmidane et de poursuivre que la famille a servi depuis toujours les Souverains alaouites. «Notre arbre généalogique montre notre descendance des Chorfa Idrissides», fait remarquer Mme Ahmidane tout en faisant étaler devant ses visiteurs des documents contenant l'arbre généalogique et autres parchemins comportant les sceaux de souverains alaouites comme Moulay Ismaël. Ahmed Benaâboud est le père de Moncef et Bilal, deux autres jeunes de 22 et 23 ans, habitant jadis à Jamaâ Mezouak et qui se seraient fait exploser en Irak. Il tient un commerce de pneus au Souk Gourna. «Depuis qu'ils ont quitté la maison en juillet dernier, ils ne sont plus mes fils. Je ne sais rien d'eux et je ne cherche rien à en savoir pour éviter les problèmes», se lamente-t-il. L'entourage de ces deux jeunes, au Lycée Jaber Ben Hayane, dit «qu'ils étaient des jeunes bien éduqués et avaient l'habitude d'aider leur père dans son commerce. Surtout Moncef qui a été depuis son enfance parmi les meilleurs dans ses études. Il a décroché un baccalauréat sciences mathématiques qui lui a permis d'intégrer l'Ecole Mohammédia des Ingénieurs», indique un employé à l'arrondissement Aguada. Comme Mme Ahmidane, les habitants tiennent à rappeler quelques noms qui ont fait la fierté de Jamaâ Mezouak. «Plusieurs intellectuels, écrivains, artistes et sportifs sont originaires de ce quartier. Les deux meilleurs joueurs du club du Moghreb de Tétouan appartiennent à Jamaâ Mezouak : Mohammed Lakhal et Karim El Yousfi », explique M. Bekari. Les responsables se disent optimistes, d'autant plus que le quartier profite de plusieurs projets de réhabilitation programmés dans le cadre de l'INDH.