Les Français vont-ils regretter Jacques Chirac ? Vont-ils sortir les mouchoirs et laisser perler quelques larmes de nostalgie ? Ou au contraire vont-ils laisser entendre bruyamment un râle de soulagement ? Jacques Chirac atterrira probablement au Maroc pour quelques jours de vacances pour goûter à la magie apaisante et régénératrice de la région de Taroudant dans le Sud. Celle là même qui, au fil de longues années de l'exercice solitaire du pourvoir, a su accueillir et consoler ses instants de crises publiques et de tensions privées les plus aigües. A l'inverse de l'impression donnée par la littérature autour de ses adieux, les Marocains de cette région ne recevront pas un cheval fourbu, mais un combattant qui, à cause de l'impitoyable horloge biologique et de l'inévitable usure du pouvoir, a été forcé de déposer les armes et passer le témoin. Chirac entame sa retraite après avoir mis fin à une longue carrière politique par des adieux télévisés aux Français et une cérémonie de passation de pouvoir à son successeur Nicolas Sarkozy. Tout a été dit sur le bilan de cet homme qui, au bout de quarante années de vie politique dont douze à l'Elysée, dix huit à la Mairie de Paris et quatre à Matignon comme Premier ministre, aura marqué de son empreinte plusieurs générations. Son itinéraire contient tous les ingrédients d'un parcours politique français accompli, fait d'escalades souvent ratées mais à la fin réussies d'un Sisyphe à la bonne étoile, de retournements épisodiques d'alliances d'un négociateur politique instable, de coups de foudres généreux et de basses trahisons d'un homme à l'affect survolté. Tous les portraitistes de Jacques Chirac s'accordent sur ce cocktail de contradictions assumées qui fait toute son originalité. Les Français vont-ils regretter Jacques Chirac ? Vont-ils sortir les mouchoirs et laisser perler quelques larmes de nostalgie ? Ou au contraire vont-ils laisser entendre bruyamment un râle de soulagement ? Heureux enfin que la chape de plomb que la Chiraquie leur a imposée puisse enfin se fissurer. Par une forme de pudeur collective, la réponse demeure courtoisement évasive, Jacques Chirac a fini par personnifier une forme de stagnation et d'incapacité à reformer la société. C'est cette même pudeur et la crainte de représailles qui empêchent en quelque sorte les grands médias français de gratter la cicatrice encore saignante. Il est de notoriété publique que Jacques Chirac a eu de des relations tumultueuse avec Nicolas Sarkozy dont une des récentes piques publiques, à la veille des présidentielles, fut ce jugement sans concession qu'il avait confié à Pierre Péan dans son livre d'entretien : «Sarkozy est très ambitieux, et comme il est très intelligent, il considère que tout doit être mis au service de ses objectifs». A cause de ces relations passionnelles, chroniquement conflictuelles, l'image d'un Chirac remettant le sacre du pouvoir à Nicolas Sarkozy fait partie du panthéon des cauchemars du président sortant. De la même manière que se voir remettre les clefs de l'Elysée par Jacques Chirac au crépuscule de sa carrière, est le sommet de la jouissance politique pour le nouveau champion de la droite. Même le bilan international est en train d'être revisité. A titre d'exemple de cette campagne qui va interroger les années Chirac, il faut citer un éditorial rédigé au Tabasco publié le 8 mai dernier dans le «Washington Post» signé par Anne Applebaum, Prix Pulitzer pour son livre Gulag : «A History». Elle y dresse un impitoyable portrait de l'action internationale. Mis à part l'Irak où il a capté l'attention mondiale par son défi à la Maison-Blanche, les positions de Chirac sur la démocratie en Afrique, les relations avec la Russie de Poutine y sont décrites comme symbole de l'immobilisme et de la connivence avec les dictateurs. Mais Jacques Chirac n'a que faires de ses remarques réquisitoires ni des ennuis judiciaires à venir que certains lui prédisent. Il s'apprête donc à s'éclipser de la scène politique pour se consacrer à une «Fondation pour le développement durable et le dialogue des cultures» que présidera l'ancien président du Fonds monétaire international, Michel Camdessus. Il suivra par cette démarche les choix faits par d'anciennes sommités de la politique comme les présidents américains Bill Clinton et Jimmy Carter ou encore de l'ex-secrétaire général des Nations unies Kofi Annan, cofondateur avec Tony Blair, qui se prépare lui aussi à quitter les sunlights du pouvoir, de l'African progress panel (APP), un groupe de promotion du progrès en Afrique.