En ouvrant ce type de boîte de Pandore, il sera difficile de la refermer. Tous ceux qui se sentaient hier entièrement à part voudront, demain, comme le disait si bien Bruno Etienne, être considérés à part entière. Cette semaine, la France a découvert son premier sondage communautaire. Patrick Lozès, patron du Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN), a commandé à l'institut de sondage Sofres une enquête sur 13.000 personnes. Dans cette période propice à la sondomanie, cette enquête, au-delà des ses résultats, a une particularité : les sondés sont tous exclusivement noirs. C'est sans précédent. Non seulement cette pratique inédite rompt avec la tradition républicaine française qui a toujours exclu les recensements ethniques, mais elle touche à des fondamentaux. Elle entaille et ouvre une brèche dans la philosophie de la Constitution française, qui indique que les Français sont tous égaux, sans distinction de race ou de religion. Le CRAN, qui à peine un an d'existence, fait donc preuve, non seulement, d'une dynamique offensive à la veille des élections présidentielles, mais il semble faire le choix du communautarisme. Patrick Lozès l'affirme d'ailleurs avec un certain cran : «Pour compter, il faut se compter» et il brandit le chiffre de deux millions de Noirs «qui feront la différence dans l'isoloir». C'est en partie un constat d'échec du discours de la diversité et de la société plurielle. C'est aussi une conséquence du décalage entre les valeurs qui sont écrites sur le fronton de la République prônant une égalité virtuelle et une fraternité éventuelle dans une société qui a de plus en plus de mal à s'y conformer, tant elle est morcelée et tribalisée. Mais avec ce sondage, c'est la notion de race qu'on remet dangereusement au goût du jour. Ceci dans un contexte où la France connaît aujourd'hui des surenchères identitaires inédites. Chacun veut sa part de reconnaissance. Tout le monde se bouscule au portillon de la visibilité. Même le Front national a évolué sur la question et s'ingénie à draguer, dans ses affiches, des gens de couleurs et exhibe ostentatoirement les deux ou trois Arabes qui l'ont rejoint. En ouvrant ce type de boîte de Pandore, il sera difficile de la refermer. Tous ceux qui se sentaient hier entièrement à part voudront, demain, comme le disait si bien Bruno Etienne, être considérés à part entière. Ils ne se contenteront plus d'être Français. Ils réclameront d'être Français noir, Français musulman, Français juif, Français tamoul. A ce rythme, pourquoi pas demain un maire chinois pour le 13ème arrondissement ? Un maire arabe pour le 18ème? Le CRAN, avait-il tant que ça besoin de démontrer l'existence de la discrimination dans un pays qui s'est doté d'un organisme dédié à la lutte contre la discrimination avouant par là son existence? Non. La discrimination n'est pas un prétexte. Patrick Lozès réclame la spécificité et nourrit un projet politique communautariste. Et il ose. Il réclame 8% de Noirs dans le prochain gouvernement. Il prône une discrimination positive réservée aux Noirs et demande aux pouvoirs publics le parrainage de la création de 1000 entreprises dirigées par des chefs noirs. Si toutes les minorités ethniques s'y mettent, le prochain gouvernement pourrait bien être un mouton à cinq pattes.