Le Premier ministre israélien et son ministre de la Défense sont en désaccord sur la stratégie à suivre pour obtenir la libération du caporal Gilad Shalit. Le chef du gouvernement prône la pause, contrairement au dirigeant travailliste favorable aux thèses de l'état-major. Dans son édition du 30 juin -tirée à plus d'un million d'exemplaires comme chaque vendredi-, le quotidien populaire Yediot Aharonot publie un sondage lourd de signification. Ehoud Olmert y est crédité de 53% d'opinions favorables alors qu'Amir Peretz n'en obtient que 32%. De quoi réconforter, provisoirement, un Premier ministre pris en grippe par l'opinion publique qui lui reproche de ne pas agir et de se contenter de multiplier «les déclarations contre le Hamas de sauver la vie du soldat fait prisonnier à Gaza». De fait, depuis la capture, le dimanche 25 juin 2006,de Gilad Shalit, Ehoud Olmert ne cessait de menacer les terroristes et de réclamer l'arrestation des dirigeants de la branche armée du Hamas, soutenue par la direction extérieure du mouvement installée à Damas avec, à sa tête, Khaled Méchaâl. Comme Amir Peretz, il affirmait que les membres du gouvernement dirigé par Ismaël Haniyeh étaient également tenus pour responsables de l'enlèvement et constituaient, à ce titre, des cibles potentielles, nullement à l'abri d'une arrestation. Dans le même temps, le haut commandement de Tsahal, l'armée israélienne, massait des dizaines de blindés dans la région de Rafah, au sud de Gaza, à proximité de l'Égypte, et au nord, près de Beth Hannoun. Il mobilisait également, dans le cadre de cette opération, des forces appartenant à l'armée de l'air et à la marine. Dans ce contexte, une réunion du cabinet restreint de sécurité israélien a eu lieu pour donner son aval au plan mis au point par l'état-major et approuvé par Amir Peretz. Surprenant les participants, Ehoud Olmert s'est opposé au déclenchement de l'opération et à toute incursion terrestre dans le nord de la bande de Gaza, «par crainte qu'elle ne fasse de nombreuses victimes civiles» dans une zone très peuplée. Cette décision aurait, dit-on, provoqué la colère de nombreux officiers de l'état-major qui ne se satisfont pas de l'arrestation, dans la nuit du 28 au 29 juin, de soixante-cinq dirigeants du Hamas en Cisjordanie, dont huit ministres et vingt membres du Conseil national palestinien. Une mesure qui a poussé Ismaël Haniyeh, installé à Gaza, à entrer dans la clandestinité. Ces arrestations ont créé une nouvelle donne. Le Premier ministre israélien a affirmé que, «si le soldat Shalit n'est pas libéré, ce sera la fin du gouvernement Hamas», tandis que le Fatah demandait à Abou Mazen de combler le «vide institutionnel» en nommant un nouveau gouvernement pour pallier la carence de l'ancien…. De surcroît, alors qu'il l'avait au départ exclu, Ehoud Olmert envisage désormais de monnayer la libération de Gilad Shalit contre celle des ministres du Hamas, allant jusqu'à déclarer aux Palestiniens qui réclamaient la libération de détenus : «Vous voulez un échange de prisonniers ? Nous échangerons les dirigeants du Hamas contre Gilad Shalit !». Pour l'instant, la seule réponse du côté palestinien était la reprise des tirs de roquettes Kassam sur la localité de Sdérot et sur celle d'Ashkelon. De fait, pour nombre d'analystes israéliens, la libération du soldat prisonnier est devenue essentielle à la survie du gouvernement d'Ehoud Olmert. Celui-ci a très vite pris conscience que «tous les facteurs de déstabilisation au Proche-Orient -du Hamas au Jihad islamique en passant par Damas et Téhéran-, le mettaient à l'épreuve». Certains spécialistes israéliens vont jusqu'à mettre en cause les méthodes utilisées par le gouvernement pour libérer le soldat enlevé. D'autant que l'arrestation des dirigeants du Hamas favorise «l'émergence d'une nouvelle génération de terroristes, plus proches du Jihad islamique et de ses objectifs à l'échelle de la planète que mus par le seul idéal de la libération de la Palestine». D'autres analystes constatent que la première décision d'Ehoud Olmert avait été de ne céder à aucun prix et de refuser l'ouverture de négociations en vue d'un échange de prisonniers avant d'accepter celui-ci. Les mêmes remarquent que le chef du gouvernement s'était fixé pour autre objectif stratégique de «profiter de la crise pour faire tomber le gouvernement du Hamas devenu un obstacle infranchissable à toute éventuelle reprise du processus de paix négociée». De nombreux analystes constatent, que pour l'heure, l'autorité du dirigeant du Hamas en exil à Damas, Khaled Méchaâl, se renforce au détriment de celle d'Ismaïl Haniyeh, chef du Hamas de l'intérieur. Une évolution qui devrait inciter Ehoud Olmert à garder son sang-froid dans cette crise en suivant la maxime qui avait été celle de son prédécesseur, Ariel Sharon : «La retenue est aussi une forme de force». Ce à quoi certains répliquent que cette formule est un peu trop facile et passe sous silence que «les enlèvements sont le talon d'Achille de la société israélienne, prête, par ailleurs, à tous les sacrifices», même si dans les circonstances actuelles elle semble virer à l'hystérie et perdre tout sens des proportions. C'est pourquoi le quotidien Haaretz va jusqu'à publier un éditorial mettant en garde contre «la tentation de transformer les efforts en vue d'obtenir la libération du soldat enlevé en une croisade pour modifier les fragiles équilibres politiques régionaux». En un mot, l'organe de l'intelligentsia israélienne met en cause les objectifs de l'opération «Pluie d'été» qui ne seraient ni clairs ni précis, donc difficilement réalisables. En outre, certains s'interrogent plus prosaïquement sur le bien-fondé de la démarche d'Ehoud Olmert : «Si son objectif est de renverser le gouvernement du Hamas, a-t-il bien pesé qui le remplacerait?». Au sein de l' opinion publique israélienne, nombreux sont ceux qui se demandent si Ehoud Olmert sait où il veut en venir ou s'il est tout simplement influencé, voire manipulé, par sa femme et ses enfants «proches de l'extrême gauche» et, à tout le moins, du camp pacifiste. Israël se trouve ainsi dans une situation pour le moins singulière. D'une part, le Premier ministre, jadis faucon et aujourd'hui chef de Kadima, la formation modérée créée par le «bulldozer» Sharon, se déclare en faveur de la pause. D'autre part, le dirigeant travailliste Amir Peretz, devenu ministre «civil» de la Défense , prend fait et cause pour la politique offensive prônée par l'état-major de Tsahal. Les rôles sont inversés et l'on peut se demander qui en tirera le plus profit.