Cette année, la fête du football a été gâchée pour des millions d'amoureux du ballon rond, en Afrique et au Moyen-Orient en particulier, par la non-retransmission des matches sur les chaînes de télévision publiques. La Coupe du monde du football, inventée par le Français Jules Rimet, disputée pour la 1re fois en 1930, entame sa 18ème édition. C'est un moment unique où le sport collectif, le plus populaire du monde, exerce sans conteste une fascination et un engouement qu'aucun autre sport n'a réussi à égaler. Mais, cette année la fête sera gâchée pour des millions d'amoureux du ballon rond, en Afrique et au Moyen-Orient en particulier, par la seule volonté mercantile d'une chaîne (ART) de télévision qui a décidé de cadenasser l'espace et instaurer un système de péage coûteux. Ainsi, pendant que plus d'un milliard de téléspectateurs a les yeux rivés sur les stades allemands des millions d'Africains sont contraints de se mettre au régime sec et se remettre à la débrouille. La frustration est d'autant plus grande que les raisons de cette implacable privation sont éminemment financières et mercantiles. Au bord de la crise des nerfs, les exclus de cette fête footballistique, au Maghreb et ailleurs, se trouvent à l'unisson pour dénoncer cette affaire de gros sous, vécue comme une véritable injustice, que la FIFA (Fédération internationale de football association) créée en 1904), censée défendre l'éthique et la morale dans le sport, n'a pas su ou voulu réparer. Certes, l'attribution de l'organisation du Mondial 2010 à un pays africain a ajouté, en quelque sorte, un petit soupçon de moralité à l'actif de la FIFA. Mais, cette nouvelle humiliation n'a fait que confirmer cette vieille règle de deux poids et deux mesures en vogue au sein de nombreuses instances internationales (quid de l'ONU). Le plus rageant dans cette histoire qui manque de sportivité c'est de voir une fois de plus cette Afrique éternelle sanctionnée injustement dans un domaine, le football, avec lequel elle entretient des rapports particuliers. Depuis que le foot est foot, l'Afrique n'a cessé de lui offrir gracieusement «des perles noires», des joueurs exceptionnels qui ont donné à ce jeu (les règles sont codifiées en 1863, date de la création, à Londres, de la Football Association), ses plus beaux gestes et ses plus belles émotions collectives. Et, si certaines des équipes européennes sont aujourd'hui cotées en Bourse et valent des milliards d'euros (AC Milan, Real Madrid, Arsenal, Juventus etc) c'est aussi grâce à ces joueurs africains dont l'engagement, la créativité, l'amour du jeu et du beau spectacle n'ont jamais failli. Les sommes astronomiques encaissées par un Ronaldinho (FC Barcelone, 23 millions d'euros), par un Zidane (Réal Madrid 15 M/euros), un Beckham (Real Madrid, 18 millions d'euros) ou un Ronaldo (17,4 millions d'euros) qui défient l'entendement, laissent aujourd'hui beaucoup de grands joueurs africains perplexes et suscitent chez les plus jeunes et les plus démunis d'entre eux , les rêves et les espoirs les plus fous. Certains de ces jeunes n'ont pas hésité à tenter les aventures les plus insensées pour réaliser ce rêve magique qui consiste à devenir un jour l'égal d'un Zidane ou d'un Ronaldo. Il suffit de regarder ce qui se passe du côté de Gibraltar, de Las Palmas, du désert marocain, et des côtes italiennes (des milliers de clandestins morts) pour bien mesurer les effets de ce phénomène qui va en s'amplifiant. Le vrai drame, c'est que peu de ces jeunes Africains savent que ce rêve est inaccessible au commun des mortels africains et que nombre de ces jeunes joueurs africains exilés, ces «perles noires» que des «managers» belges, français ou italiens sont allés chercher dans les villes et les villages les plus reculés d'Afrique, sont aujourd'hui des clandestins à Bruxelles, à Paris ou Turin. L'un des grands spécialistes de la géopolitique, Pascal Boniface (Football est mondialisation, édition ; Armand Colin 2006), voit dans le football «le symbole même de la mondialisation» et note que si «la mondialisation est perçue comme une force venant dissoudre les identités nationales, le football en est le plus sûr ciment …». La Coupe du monde, événement mondial par excellence, instrument d'une mondialisation sans borne (FIFA oblige) n'est pas autre chose que la consécration de l'ère du foot-business. Le marché mondial du foot, qui représente actuellement plus de 250 milliards d'euros, fonctionne à plein régime en dépit des sombres affaires de gros sous, de trafic d'influence, de trucage de matchs (Juventus de Turin), de dopage, de scandales liés aux transferts de joueurs (affaire de l'O.Marseille), qui ont défié la chronique sportive et judiciaire ces derniers mois. Bien sûr, il y a toujours une morale même dans les histoires les plus sordides. Les chaînes ZDF, ARD et RTL vont permettre aux Marocains de suivre l'intégralité des matches transmis. Mais, au prix de quel effort? Comble du bonheur, ils auront aussi la possibilité de voir gratuitement (sur 2 M et RTM), grâce à l'intervention personnelle de SM le Roi Mohammed VI, quatre matchs du Mondial : le match d'ouverture (Allemagne-Costa Rica), les deux matchs de la demi-finale et celui de la finale. Les plus mordus de foot d'entre eux peuvent aller «chercher bonheur» sur l'Internet.En attendant, les fameux hacker smarocains de Derb Ghalef, à Casablanca, n'ont pas encore dit leur dernier mot. Déjouer les combines de ce satané système de verrouillage (réseau TPS), qui prive des millions d'amoureux du ballon rond de leur plaisir, devient l'un des défis du moment les plus tentants à relever. Dire après tout cela que le football est un sport planétaire populaire, un moment unique où tous les hommes sont égaux en droits et devant la redevance TV, unis dans une même passion pour le sport serait une insulte à l'intelligence et au bon sens populaire africain. La FIFA qui cautionne la décision impitoyable d'une chaîne de télévision qui gâche cette “grande fête du football”, ne mérite t-elle pas aujourd'hui un grand, un énorme Carton rouge ?. • Mohammed Mraizika Chercheur en Sciences Sociales et en droit international humanitaire. Président d'Almohagir (Paris)