Avec l'adoption des textes d'application de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, le pouvoir algérien met ses services de sécurité à l'abri de la justice. Quelles étaient les circonstances de disparition des milliers d'Algériens victimes de la décennie noire qui avait stigmatisé tout un peuple ? Où sont enterrés les corps de ces victimes ? Qui sont les responsables ?… Ce sont les questions auxquelles les familles des victimes de la guerre civile, qui a secoué l'Algérie durant les années 90, souhaitent avoir les réponses. Mais désormais, elles n'ont plus le droit de les poser. Les textes de mise en œuvre de la charte pour la paix et la réconciliation nationale en Algérie, adopté en début de la semaine en Conseil de gouvernement «pénalisent et sanctionnent toute déclaration, écrit ou autre acte, utilisant ou instrumentalisant les blessures de la tragédie pour porter atteinte aux institutions, fragiliser l'Etat ou nuire à l'honorabilité de ses agents qui l'ont dignement servi, ou pour ternir l'image de l'Algérie sur le plan international». Du coup, une simple déclaration pourrait entraîner des poursuites judiciaires. Six mois après le référendum sur le projet de «charte pour la paix et la réconciliation nationale», le président algérien Abdelaziz Bouteflika a décidé de passer à la vitesse supérieure en optant pour une ordonnance et des décrets présidentiels. Il met ainsi le Parlement out ! Rappelons que le chef de l'Etat avait laissé entendre, dans son discours devant les députés, que l'institution législative allait être associée à la mise en œuvre des textes d'application de la charte. Maintenant qu'il eut son référendum, pas question d'attendre. Le pouvoir semble ainsi vouloir tourner une page sombre de l'histoire de l'Algérie en la déchirant. Mais le plus vite possible. Ce n'est pas tout. Les textes mettent à l'abri les agents de sécurité des poursuites pénales, même si des dépassements ont été commis. Ils écartent toute poursuite, à titre individuel ou collectif, contre des éléments des forces de défense et de sécurité, toutes camposantes confondues. Après la lune de miel, où Bouteflika faisait compagne pour son fameux projet puisant son inspiration en la personne de l'ancien président algérien Houari Boumedène, l'Algérie entame sa lune de l'absinthe, comme disait Zadig qualifiant le second mois de son mariage. D'après l'Expression, une centaine de familles se sont rassemblées pour dénoncer et rejeter les textes de loi. «Nous ne voulons par d'argent, nous voulons savoir la vérité sur nos enfants», «Baraka la hogra», scandaient les femmes touchées dans leur chair, poursuit le journal. «Le texte va régler les conséquences de la tragédie nationale, mais le problème politique, celui de faire la lumière sur le dossier des disparus, resurgira un jour ou l'autre», avait précisé la représentante de la Coordination nationale des familles des disparus Safia Fahaci. La représentante affirme que si l'Etat veut vraiment asseoir la paix, il doit, suggère-t-elle, présenter des excuses aux familles des victimes. Interrogée par le quotidien, la présidente de l'association SOS disparus, Mme Fatima Yous, rejette les textes en dénonçant l'interdiction pour les familles des victimes de saisir la justice. Elle affirme « qu'il y a des disparus qui sont encore vivants et qui sont incarcérés dans des centres».