En 2007, nous devrions revenir à la légitimité démocratique avec la nomination d'un gouvernement politique. Le Maroc peut-il se passer de la crème de ses élites dans la gestion des affaires ? Le terme technocrate a chez nous une connotation très péjorative. C'est le Monsieur qui a une calculette à la place du cœur, qui n'a aucune vision politique et qui ne peut aspirer à des fonctions politiques qu'aux heures de vacance pré-électrorale. Le rapport 50 ans tord le cou à cette image très éloignée de la réalité. Préparé par 104 technocrates, dont une partie affiche des attaches partisanes, il est tout sauf un rapport froid. Il faut le lire et bien le lire. Les scénarii sont un exercice intellectuel de haute volée, on me permettra de rappeler que du temps de Hassan II aussi, le fameux rapport dit du G5 avait abouti aux mêmes conclusions. Soit l'on fait ce que l'on a à faire et qui est énorme (et commence par révolutionner l'éducation tout de suite) ou c'est la catastrophe, en résumé. Cette fois ce qui change c'est que nous sommes en face d'un vrai projet de société. Il est d'abord question de valeurs fondatrices et d'une véritable vision du développement mettant l'homme au centre. Le lien taux de croissance-développement n'est plus automatique. Mon propos n'est pas de refaire l'exégèse de ce rapport, ni même de le commenter, d'autres confrères l'ont fait et brillamment. Je veux plutôt m'attacher à la technostructure marocaine et tenter de lui rendre justice. Qui est-elle, qu'a-t-elle de particulier ? Nos technocrates sont issus de l'ensemble des couches sociales, s'il faut réellement s'inquiéter de la mobilité sociale pour les années à venir, l'école a joué son rôle par le passé. La reproduction des élites n'était pas une réalité intangible par le passé cela a son importance; une importance capitale à mes yeux. Cette mixité des origines fait qu'elle n'est pas aussi insensible, qu'on veut bien le laisser entendre, à la cause du petit peuple. Mais le phénomène le plus important est essentiellement politique. Ces élites se retrouvent rarement dans les partis politiques. Pourquoi ? Dans les démocraties installées c'est naturellement que polytechniciens Enarques ou financiers de haut vol trouvent leur place dans les structures partisanes et en haut de l'affiche. Chez nous, l'action partisane étant phagocytée par les avocats et les enseignants rares, les téméraires qui ont osé le pas. Par contre, l'Etat les a cooptés. Cette cooptation est toute nuturelle, vu la faiblesse du privé et les besoins en encadrement supérieur de l'Administration. Les effets ne sont pas seulement négatifs. Si l'on a vu des phénomènes d'écurie se développer, ce qui existe ailleurs aussi, un lobbying émerger, le plus remarquable reste le sens de l'Etat de cette technostructure. C'est un phénomène politique d'importance car il peut en expliquer d'autres. Ainsi, les partis étant fermés à ces grosses pointures, n'est-il pas normal que la monarchie les cherchent là où elles sont ? Poursuivons le raisonnement , la proposition de l'Istiqlal et de l'USFP de «cadenasser» les nominations ne vise-t-elle pas en premier cette catégorie ? Ces questions sont encore plus légitimes aujourd'hui. En 2007, nous devrions revenir à la légitimité démocratique avec la nomination d'un gouvernement politique. Le Maroc peut-il se passer de la crème de ses élites dans la gestion des affaires ? Je pense que cela serait suicidaire. A la lecture du rapport 50, on pencherait plutôt pour une démarche inverse. Ce rapport, lui-même, en appelle à la nécessité de la compétition de projets alternatifs sur la base d'un socle de valeurs communes. Il est évident que l'emergence de ces projets nécessite une certaine expertise mais surtout qu'elle peut être attractive pour les technocrates. Qu'est-ce qui empêcherait alors les partis les plus importants de recruter chez cette élite? A condition bien sûr que les structures partisanes se modernisent et jettent aux orties leur conservatisme organisationnel d'un autre âge. Un Benhima à l'USFP, un Bakoury au PPS, cela est plus naturel que les dernières opérations sur le marché des transferts. Démarche utopique? Alors il n'y a aucune raison de contester la cooptation parce qu'il n'y a aucune raison d'empêcher des enfants du peuple, qualifiés de servir leur pays, juste parce qu'ils ne sont pas encartés et de leur préférer des «Moallim»» grosse gueule petite compétence. Face aux défis à venir, c'est un luxe que l'on ne peut se permettre. P.S : Les technocrates ayant opté pour le service public perdent tous en terme de revenu. Ils ne sont pas à plaindre mais il faut leur reconnaître ça. Alors que d'autres font de la chose publique un moyen de promotion sociale.