Le Nigeria et le Maroc «ont vu le nombre de leurs détenteurs de cryptomonnaies augmenter ces derniers mois», souligne cette étude, mettant l'accent sur l'inefficacité de l'interdiction. Entre l'interdit et le toléré, le marché mondial des cryptomonnaies est en pleine ascension. L'Afrique n'échappe pas à la règle avec une tendance à la hausse qui s'accroît d'année en année. Ces placements restent à haut risque. Pour en décrypter les enjeux, Policy Center for the New South vient de dévoiler une étude intitulée «L'émergence des cryptomonnaies en Afrique : réalité ou surévaluation ?» réalisée par Henri-Louis Verdie. On y apprend que le nombre de personnes par habitant détenant des cryptomonnaies au Maroc en 2022 atteint 1,15 million générant un PIB par habitant de 8.612 dollars derrière le Ghana (1,39 million de personnes, soit un PIB de 4.606 dollars par habitant). Le premier dans ce classement est le Nigeria avec 22,33 millions de personnes produisant un PIB/habitant de 5.927 dollars. Diagnostic Ladite analyse fait un état des lieux en 2022 pour 33 pays africains dont le Maroc en procédant à une double approche. La première prend en compte le nombre de leurs détenteurs, en millions par pays, regroupant tous les pays, avec un seuil minimum de 1.000 détenteurs alors que la deuxième privilégie le nombre de ces détenteurs par pays, mais en pourcentage de leur population. Les données utilisées concernent 33 pays africains où l'on recense au minimum 1.000 détenteurs de cryptomonnaies. Il en ressort que neuf pays (Nigeria, Afrique du Sud, Kenya, Egypte, Tanzanie, RD Congo, Ethiopie, Ghana et le Maroc) réunissent 47 millions d'utilisateurs de cryptomonnaies, plus de 85% de l'ensemble. Le nombre de détenteurs par pays, en pourcentage de leur population, révèle un taux de 3,05% pour le Maroc classé après le Gabon, 3,09%. L'Afrique du Sud est en première position avec 12,27%. Dans son analyse, l'auteur de cette étude plaide pour la nécessité d'encadrer cette montée de puissance de la cryptomonnaie. «Sur le plan démographique, on rappellera que les utilisateurs de cryptomonnaies sont très majoritairement des jeunes de 20 ans à 30 ans. C'est le cas au Maroc, par exemple. Une enquête récente de Synergia montre que concernant le bitcoin, les jeunes de moins de 30 ans représentent plus de 50% des utilisateurs. D'autres enquêtes estiment qu'en Afrique subsaharienne ce pourcentage peut atteindre 70%. Or selon les Nations Unies, l'Afrique, tous pays confondus, est le continent le plus jeune de la planète, avec une moyenne d'âge de 19 ans, deux fois plus jeune que les Etats-Unis (38 ans). Et dans des pays subsahariens, certains ont aujourd'hui entre 45 et 50% de leur population de moins de 15 ans. Enfin, en 2050, 50% de la population africaine aura alors moins de 25 ans», souligne-t-il. Et d'ajouter : «Sur le plan urbain, toutes les enquêtes montrent que les utilisateurs de cryptomonnaies se concentrent dans les grandes métropoles urbaines, comme à Casablanca au Maroc». Réglementation Sur le plan réglementaire, aucun pays africain ne reconnaît aux cryptomonnaies le statut de monnaie légale, à l'exception de la République centrafricaine qui vient de faire du bitcoin une monnaie ayant cours légal, même pour le paiement des impôts et taxes, précise ce Policy Research. «Pour autant, force est de constater que cette interdiction formelle est peu suivie d'effet. Par contre, l'absence d'un cadre réglementaire dédié aux cryptomonnaies est non seulement source de confusion mais aussi pénalisant pour celles ou ceux qui entendent les développer davantage encore, ou au contraire les interdire», indique l'auteur de cette analyse. Le Maroc fait partie des 7 pays (Nigeria, Egypte, Libye, Ouganda, Namibie, Algérie) qui interdisent les cryptomonnaies. Elle est admise en Afrique du Sud et tolérée dans 25 autres pays comme l'Angola, le Bénin, le Botswana, le Burkina Faso, le Cameroun, la Côte d'Ivoire, l'Ethiopie, le Gabon ou encore le Ghana. Toutefois, le Nigeria et le Maroc «ont vu le nombre de leurs détenteurs de cryptomonnaies augmenter ces derniers mois», souligne cette étude mettant l'accent sur l'inefficacité de l'interdiction. Par ailleurs un projet de régulation des cryptomonnaies est en gestation au Maroc. «Abdellatif Jouahri, gouverneur de Bank Al-Maghrib (BAM), banque centrale du Royaume, a annoncé un projet de réglementation des cryptomonnaies. Première étape importante sur la route qui pourrait conduire le pays à les autoriser officiellement, sous certaines conditions. Cette annonce constitue une rupture du front uni constitué par le ministère de l'économie et des finances, l'Autorité marocaine de régulation des marchés financiers et, bien sûr, BAM. Tous les trois sont jusqu'alors sur une même ligne, celle de s'opposer vent debout à des cryptomonnaies non régulées», indique la même source. Et d'ajouter : «Pour Abdellatif Jouahri, la situation particulière du Maroc, augmentation de 120% des cryptomonnaies entre juillet 2021 et juin 2022, malgré leur interdiction formelle, ne pouvait perdurer en l'état, celui d'unités de compte échappant à tout contrôle des institutions monétaires nationales ou internationales. Ce projet, s'il est adopté, permettrait aux cryptomonnaies d'être tolérées dans un premier temps, mais aussi de superviser leur bon usage. En ligne de mire, sans doute, la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des groupes terroristes». Cette analyse relève également que ce projet s'inscrit aussi dans une réflexion à plus long terme sur la monnaie digitale de banque centrale (MDBC). Pour l'auteur de cette recherche, «l'annonce concomitante, par BAM de ce projet et de la création d'un comité étudiant l'opportunité, les modalités et les conséquences de l 'émission d'une MDBCS marocaine, donne force à cette hypothèse. Comme beaucoup de banquiers centraux européens, Abdellatif Jouahri est de ceux qui pensent que l'on peut interdire les cryptomonnaies, sans condamner les blockchains, bien au contraire et les soutenir, et avec elles réguler de façon efficace l'usage des cryptomonnaies».