Partout au Maroc, les militants ou les intellectuels, qui se donnent encore la peine d'aller au contact des jeunes, font le même constat. Non, la jeunesse marocaine n'est pas désespérée, elle dégage toujours des forces, des potentialités Ils étaient 80.000, ils ont assisté à un match de bon niveau et se sont dispersés dans l'ordre et le calme, même si pour la moitié d'entre eux, le résultat était contraire à leurs attentes. C'était lors du dernier derby. La police et la presse craignaient le pire. Depuis quelques années, le hooliganisme s'est installé chez les footeux. Qu'est-ce qui a changé ? Cette fois, des associations de supporters s'en sont occupées et sérieusement. Il y a eu dans tous les quartiers des réunions de sensibilisation autour de la notion du fair-play et dans le stade, un véritable encadrement a été assuré : il n'y a pas eu un seul débordement. Cet événement est exemplaire à plus d'un titre. En premier lieu, il tord le cou aux affirmations trop hâtives du genre « c'est une jeunesse pourrie», à l'inverse, il démontre la disponibilité de ces jeunes à l'encadrement. Autre milieu, même constatation : à Settat, l'Association des résidents de la cité universitaire a organisé un débat, ils étaient 500, ont discuté pendant des heures et des heures et surtout proclamé haut et fort qu'ils voulaient s'organiser, se battre mais où ? Car lors de la préparation de cette activité, un parti politique, pas le PJD cette fois, a fait des pressions énormes pour l'interdire. Partout au Maroc, les militants ou les intellectuels, qui se donnent encore la peine d'aller au contact des jeunes, font le même constat. Non, la jeunesse marocaine n'est pas désespérée, elle dégage toujours des forces, des potentialités, elle est réellement attachée à un idéal de modernité, mais elle ne fait aucune confiance aux cadres existants. Ce n'est pas la politique que les jeunes désertent mais la politique politicienne, les calculs de boutiquiers. Ce déficit de l'intermédiation politique est le point faible du processus de modernisation du pays. Il est d'ailleurs paradoxal de constater que plus les espaces de liberté s'élargissent, plus cette intermédiation est défaillante. Ce sont les appareils qui sont en totale inadéquation avec la phase historique, ils n'ont plus de visions, plus de discours, plus rien à proposer, leurs locaux sont fermés et leurs réunions tournent toujours au pugilat entre prétendants à un truc. Pourquoi voulez-vous qu'un jeune de 20 ans, avec son utopie, son énergie vienne là-dedans. Pourtant, ceux qui ont une conscience politique plus aiguë le font, avec le même rêve que ceux qui les ont précédés : changer de l'intérieur. Les autres jeunes s'investissent dans des cadres plus étriqués : les assocs. Ce phénomène reflète le désir d'engagement pour la collectivité, la citoyenneté. Il n'y a pas un seul village au Maroc où ce phénomène n'est pas apparu en force. Reste qu'il faut chercher à fédérer ce mouvement autour d'une vision d'un projet social, d'un horizon politique. Commençons d'abord par le commencement, allons écouter ces jeunes, leurs problèmes, leurs attentes, leurs critiques. Car comme tous les jeunes, ils nous trouvent, nous leurs aînés, un parcours. Ils n'ont pas nécessairement tort, d'ailleurs si l'on voit la décrépitude de nos appareils. L'islamisme dans tout cela ? Il existe, sa pression est palpable, mais il est faux de dire que toute la jeunesse a viré facho. D'ailleurs, sa pression s'exerce d'abord grâce à l'absence relative des autres et à leur incapacité d'établir des ponts avec les jeunes. Bravo encore à ces jeunes qui à Derb Soltane, l'ancienne médina, Salmia, partout à Casablanca ont passé une semaine à convaincre d'autres jeunes que le foot et une fête. Bravo et merci, puisque pour la première fois depuis des années, le derby n'a pas été un cauchemar pour vos propres parents. Vous nous avez donné une belle leçon de confiance dans nos compatriotes. Ce match-là, vous l'avez gagné haut la main et il est plus important que tous les derbys à venir.