Dressant un descriptif des plus pessimistes de la scène politique marocaine, Mohamed Sassi, de l'association «Fidélité et Démocratie» et ex-secrétaire général de la Jeunesse Ittihadie, relève le manque de démocratie interne au sein de l'USFP. Pour lui, une époque est terminée et il faut regarder devant. ALM : Au vu du déroulement à la fois des préparatifs des élections communales par l'USFP, et de ce qui s'est passé pendant et après les élections des présidents de communes, l'existence de ce parti en tant que grande force politique du pays serait-elle menacée ? Mohamed Sassi : Ce constat ne concerne pas uniquement l'USFP mais tous les partis politiques du pays. C'est le résultat de l'échec des tentatives de révolutions qu'ont connues certaines formations, dont l'USFP. Ces formations ne sont pas arrivées à vaincre leurs problèmes internes. Elles n'ont pas réussi à se renouveler, encore moins à constituer une force à même de concurrencer la mouvance islamiste. Elles n'ont ni procédé à un toilettage interne qui leur aurait été salutaire, ni à conclure des pactes d'honneurs entre leurs militants, et encore moins à mettre en place des procédures concrètes pour réaliser ces révolutions. La campagne électorale de l'USFP a donné lieu à des agissements, des attitudes qui relevaient plus de l'autopromotion. Et les militants dans tout cela ? Force est de constater que ce ne sont pas les partis politiques qui étaient en lice lors de ces élections. C'étaient les têtes de listes. Ce n'est pas l'aspect partisan qui était mis en exergue, mais l'aspect familial. Ils sont nombreux, les têtes de listes dans les grandes villes qui, à défaut d'un soutien émanant de leurs partis respectifs, ont eu recours à leurs familles. En revanche, on a assisté à la démobilisation au sein des militants. Pourquoi a-t-on besoin de recourir à ses proches, plutôt qu'à des militants ? La réponse est simple. Ces derniers savent pertinemment que ce n'est pas le parti qu'ils vont défendre. Ce sont des intérêts personnels d'un tel ou tel autre candidat qu'il va servir. Le jeu électoral n'est pas politique. Il ne défend pas un projet de société, mais des intérêts directs. Mais parallèlement à ces illogismes, il y a les revendications démocratiques de la société. Les lois et l'Etat imposent également cette donne. Il y va de la nécessité d'instaurer des règles qui vont de pair avec le financement public des partis. Mais dans les faits, on est encore loin du compte… Le problème c'est que, à l'intérieur de formations conservatrices et dont le fondement même est anti-démocratique, on assiste à une participation plus large des militants. On le voit bien avec le PJD. Les partis démocratiques, eux, ne semblent pas tenir compte de cet élément. Et pour preuve, pour beaucoup d'entre eux, les congrès n'ont lieu que chaque 12 ans, la présidence est un poste à occuper sur le long terme. Les militants, et le cas de figure de l'USFP est des plus parlants à ce niveau, n'ont d'autres choix que d'accepter les décisions de la direction. Autrement, on les change. En l'espace de quelques mois, l'effectif de l'USFP a été multiplié. Et pour cause, le 6ème Congrès du parti. Du temps où je faisais partie de la Jeunesse Ittihadie, on recensait un total de militants qui était de l'ordre de 9400 membres. Un an après, le parti a publié des chiffres selon lesquels ils étaient 35.000. C'est inconcevable. Où étaient ces masses ? De même pour les militants du parti de 50.000 sont devenus 60.000 membres. Et ce ne sont jamais les mêmes. Le fond du problème, c'est que c'est la direction de la logistique qui fabrique ces militants. Sous prétexte d'ouverture sur les militants, elle en chasse certains et en recrute d'autres, à des occasions très ponctuelles. Alors que le principe même de l'ouverture suppose que le parti s'ouvre sur ses propres militants, au lieu de les changer. Et pourquoi les change-t-on ? Tout simplement parce que le Congrès est par définition une occasion pour le parti de faire le bilan, de relever les dysfonctionnements et d'instaurer les changements qui s'imposent. Or, on veut échapper à ce changement et limiter l'événement au seul cadre protocolaire et médiatique. On fabrique une majorité qui va à la seule faveur de celui qui détient la logistique. D'où l'échec des révolutions pré-citées. Il faut un nouveau statut qui impose un contrôle sur la mainmise qu'a la logistique sur le parti. Cela sonne-t-il le glas de la politique dans notre pays ? L'espoir reste permis. Lors des dernières élections, les Marocains n'ont pas agi de la même manière que leurs voisins algériens. Au lieu de sanctionner les partis politiques, en votant pour les islamistes, la classe moyenne, les cadres, les jeunes, en somme, ceux qui font bouger le Maroc, ont préféré s'abstenir. Cela a certes laissé le terrain libre à la machine islamiste, mais on peut au moins tirer la conclusion suivante : les Marocains attendent toujours une action des partis politiques. Entre les deux machines, à savoir l'Etat et les islamistes, il y a un terrain vacant, celui de la démocratie. A vous entendre, on croirait que les idéologies sont bien claires, que les clans sont définis. Or, on a assisté à un jeu d'alliances des plus contre naturel… Cela est dû à cette logique d'intérêt personnel et direct qui prend le dessus sur toutes les autres considérations. Les hommes politiques ont versé dans un pragmatisme absolu tel que les ennemis d'hier, au sens propre comme au figuré, deviennent facilement des alliés. L'USFP, dont certains membres sont allés chercher le soutien des islamistes aux premières heures du jour d'élection des présidents de communes nous ont prodigués de belles leçons en la matière. Y aurait-il des mains invisibles qui auraient agi pour qu'il en soit ainsi? Non. C'était prévisible. Ce sont des alliances d'une certaine élite physique, et non pas morale. Le parti ne sert que de couvert. C'est le point marquant non le début, mais la fin. C'est pour cela qu'on assiste à des changements records de casquettes. Les stratégies menées ne servent qu'à donner naissance à des élites locales, et non un processus démocratique. Une gestion ingénieuse des paradoxes, qui est en train de se professionnaliser au Maroc. Quels choix se présentent désormais pour une revalorisation de la politique au Maroc ? On se trouve actuellement devant deux options. La première en serait que les partis puissent s'auto-réformer. Le temps se chargera de générer de nouvelles élites. D'autres sont pour une refonte totale de la scène politique nationale. Les tentatives précédant une réforme interne ont toutes échoué. Et donc, il faut une réforme de l'extérieur. Je suis de cet avis. Une époque a belle et bien pris fin. Avec ses hommes, ses aspects positifs et négatifs, cette époque de lutte démocratique a atteint son paroxysme avec la constitution du gouvernement de l'Alternance. Une autre n'a pas encore été entamée. Il faut désormais un débat public. Qu'on arrête de parler des élections et qu'on s'intéresse aux grandes questions. Il y a bien eu un 16 mai, les islamistes ne cessent de gagner en force. Il faut lutter contre ce phénomène, mais il faut le faire de manière civilisée, démocratique. Que le combat ait pour seule arène la scène politique. Les partis politiques sont maintenant incapables de mener un tel combat. Et c'est le système qui va s'en charger.