Personne ne sait plus où commence et où finit l'Espagne, ou même l'Europe. Et qui doit assumer la protection de l'espace européen quand celui-ci, bizarrement, commence non pas au Bosphore mais en Afrique. La pression des migrants subsahariens sur Sebta et Mellilia est, objectivement, en train de faire exploser les restes du modèle colonial espagnol. L'opinion publique espagnole ne comprend pas très bien ce qui est en train de se passer car, d'une manière générale, la classe politique et les médias n'accomplissent pas leur devoir sur ce sujet. Probablement, une absence de courage intellectuel ou un atavisme culturel très lourd. Le dernier sondage commandé et diffusé par la radio Cadena Ser est très édifiant. À 90%, les sondés estiment que c'est notre pays qui doit assurer la sécurité des frontières de ces deux enclaves, et à 70%, ils sont d'accord avec l'envoi de l'armée pour faire un travail de police qui incombe normalement à la Guardia civil. En fait, personne ne sait plus où commence et où finit l'Espagne, ou même l'Europe. Et qui doit assumer la protection de l'espace européen quand celui-ci, bizarrement, commence non pas au Bosphore mais en Afrique. La confusion est à son comble. Les Espagnols souhaitent à la fois sous-traiter totalement au Maroc la répression de l'immigration clandestine et en même temps dénoncer – hypocritement - au nom d'un humanisme de bon aloi cette répression effectuée alors par un État médiéval, sous-développé, totalitaire, arabe etc. Il y a un truc qui ne marche pas dans ce raisonnement. Ils veulent à la fois s'inscrire dans un modèle européen humaniste, moderne et démocratique et s'accrocher à des miettes d'empire colonialiste à l'existence anachronique et ridicule sans en assumer le coût moral. La citoyenneté européenne se heurte ici de front à l'hispanité nostalgique de deux enclaves coloniales. Mais le problème, pour l'instant, n'est pas là. Sur le fond, et sur un plan général, la sécurité de la Méditerranée du sud est une affaire collective et multilatérale. Bruxelles devrait pouvoir, sur ce dossier, assumer d'urgence ses responsabilités. Le face-à-face hispano-marocain, malgré quelques bonnes volontés notoires, n'aboutira à rien de positif sur cette question, d'abord parce que l'opinion publique espagnole est, sciemment, livrée à ses vieux démons et ensuite parce que l'opposition espagnole de droite et sa presse mettent constamment de l'huile sur le feu d'une manière irresponsable. Mais précisément, à un moment où l'on fait des manifestations grotesques sur l'hispanité de Sebta et Mellilia, on devrait davantage se préoccuper de l'avenir. Pour cela, il faut juste considérer que ces deux enclaves n'offrent, aujourd'hui, à l'Espagne, aucun avantage géostratégique. Même s'il existait, il serait facilement dépassable par des accords militaires modernes privilégiant plus une sécurité collective qu'un rapport de force certes rassurant mais contre-productif, stérile et inutilement coûteux. Sur le plan économique, également, ces deux enclaves ne présentent plus aucun intérêt pour l'Espagne. Au plus tard en 2010, leur modèle économique -d'ailleurs en partie fondée sur la contrebande, le blanchiment d'argent et le trafic de la drogue- sera totalement démonétisé. L'intérêt, aujourd'hui, de l'Espagne est de s'investir d'une manière plus dynamique dans l'ouverture économique marocaine pour préparer la croissance de demain au lieu de s'accrocher à un schéma colonial obsolète. Il est ridicule quand Tanger, Tétouan, Tanger-Med, bref tout le nord du Maroc et le reste s'offre aux échanges fructueux et à la coopération économique mutuellement avantageuse, de continuer à réfléchir d'une manière archaïque sur deux enclaves en fin de potentiel condamnées par l'Histoire. Mais personne ne parle de cela aux Espagnols. Le black-out est total. On trouve plus de traces de cette vision, et de cette approche, du côté des managers de Telefonica, de Repsol, de Fadesa ou de Dragados que du côté des caciques madrilènes du Parti Populaire. Mais cela changera, un jour.