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Retour imminent à l'indexation
Publié dans Aujourd'hui le Maroc le 05 - 09 - 2005

Mohamed Boutaleb, ministre de l'Energie et des Mines, livre les principales mesures que son département compte mettre en application afin de faire face à la flambée incessante des prix du brut.
ALM : La flambée incessante des cours du baril dépasse actuellement 70 dollars et s'achemine vers les 100. Cette situation représente-t-elle une source d'inquiétude pour le gouvernement ?
Mohamed Boutaleb : La hausse des prix du brut est-elle structurelle ou conjoncturelle, peut-on parler de crise ou non ? Personnellement, je pense qu'il faut clarifier les choses : le Maroc n'est pas un pays producteur de pétrole. Quand le baril était à 20 dollars, le problème se posait, même chose à 30 et actuellement à plus de 60 dollars. Le gouvernement doit apporter une réponse à cette contrainte. Or, notre système de régulation des prix est fondé sur la Caisse de compensation. À mon sens, le problème posé aujourd'hui, vis-à-vis de l'approvisionnement du pays, porte plutôt sur le mode de gestion adéquat de cette Caisse.
Mais encore ?
Jusqu'à ces dernières années, la Caisse de compensation régulait le butane, un produit social qui n'a pas fait l'objet d'augmentation depuis des décennies. Les lois de Finances qui se sont succédées jusqu'à 2003 arrivaient à compenser en interne une partie pour le butane, dans le cadre du rééquilibrage carburant-butane. La Caisse de compensation versait en moyenne deux milliards de DH par an. Donc le déficit oscillait entre 1,5 et 2,5 milliards. La question de fond qui se pose est la suivante : doit-on continuer à subventionner les prix des carburants et du butane? Les deux dernières augmentations programmées et exécutées à l'échelle du pays en 2005 ont touché uniquement le carburant et le fioul. Le butane a été épargné.
Pour revenir à la compensation, le système d'indexation était en vigueur jusqu'à l'an 2000. La structure des prix était alignée sur les prix à l'international. Nous avons très bien fonctionné avec ce système.
Le consommateur s'est habitué à cette donne mais, malheureusement, cette expérience a été suspendue. Aujourd'hui, nous pensons que la meilleure méthode est de réintroduire le système d'indexation. Le premier objectif étant l'allégement du fonctionnement de l'exécution de la Caisse de compensation vis-à-vis des produits pétroliers.
Mais cela ne va pas, pour autant, régler le problème pour le consommateur si la flambée se poursuit. Bien au contraire...
Des choix s'imposent désormais à nous, comme la réalité des prix à la pompe. Le Maroc a choisi la voie de la mise en oeuvre des mécanismes de la libéralisation, de privatisation et d'ouverture à l'échelle régionale et internationale. Ce choix est assurément positif. Le consommateur va certainement suivre. Pour preuve, l'indexation opérée jusqu'à l'année 2000 a été bien accueillie par le consommateur. C'est vrai, le baril avait un coût assez raisonnable, mais aujourd'hui, aucun expert n'est en mesure de prévoir la tendance.
Bien sûr, nous restons conscients que le système d'indexation est opérationnel jusqu'à une certaine limite. Le pouvoir d'achat ne doit pas être affecté. L'indexation est une équation élastique et non pas plastique.
Si le consommateur avait accès à un transport en commun de qualité, doublé d'autres mesures, notamment des campagnes de sensibilisation pour réduire la facture énergétique, nous ne serions certainement pas otages des cours mondiaux...
La facture énergétique, qui se chiffre par 20 à 25 milliards de DH, est la somme des différentes composantes énergétiques. L'horaire continu décidé par le gouvernement permet une économie de plus d'un milliard de DH par an . La sensibilisation est faite. En plus, depuis plus de 10 années, notre département a mis au point une politique de sensibilisation à l'économie de l'énergie qui a porté ses fruits. Aux niveaux régional et international, le Maroc est très bien classé en matière d'économie d'énergie. Par contre, nous sommes très mal classés en matière de consommation de l'énergie : 6 millions de tonnes par an dont la moitié concerne le gasoil . Il faut à mon avis amener le consommateur à suivre les fluctuations des prix du pétrole. Il n'y a que la vérité des prix à la pompe qui peut être une bonne solution. Quant au transport en commun, il est bien réglementé. En dehors du transport urbain le système est libre. Le consommateur a le choix entre les différentes offres proposées. Ce qui est encore administré c'est le transport urbain. Pour revenir à la question principale, la Caisse de compensation pose des problèmes énormes. Nous sommes déjà à 4 milliards DH de déficit. Si les choses continuent de la sorte, nous aurons un déficit de 6 à 7 milliards à fin 2005. Le système d'indexation que nous sommes en train de préparer, doit reprendre sa place après l'achèvement de certains détails techniques. Nous espérons sa mise en fonction avant la fin d'année.
Certains plaident en faveur de la suppression pure et simple de la Caisse de compensation. Quel est votre avis ?
C'est facile à dire qu'à faire. Ce n'est pas un problème de philosophie mais de contrôle. Je vous donne l'exemple de gasoil pêche qui n'est pas subventionné. Il est libre. Mais pourquoi ce système fonctionne bien? Parce qu'il est à l'intérieur des ports et ici il n'y a pas de fraudes. Le système de contrôle freine la propension à la triche. Si on veut appliquer la même recette à l'agriculture, la question serait plus délicate. Par contre, la meilleure façon de faire est de remettre le système d'indexation et en même temps faire en sorte que la Caisse de compensation assure la seule subvention du butane. Un mixte évolutif est de nature à mettre à l'aise le consommateur pour suivre la hausse et la baisse. Donc, indexation et Caisse de compensation sont un même couple qu'il faut réguler. Le travail du schéma directeur est dans sa phase de finalisation. Aujourd'hui, le système actuel de la Caisse pénalise assurément les opérateurs. Cette équation public-privé doit être équilibrée. Les arriérés sont en phase de règlement de manière intelligente. Nous sommes déterminés à apurer l'arriéré de l'arriéré. L'idée d'une gestion directe par notre département n'est pas exclue.
Pour la loi de Finances 2005, le gouvernement a retenu un prix du baril à 35 dollars alors que la moyenne de l'année est de 57 dollars. Pour 2006, sur quel cours tablez-vous ?
Pour la loi des Finances, le prix du baril à retenir est aussi corrélé à la situation de la Caisse de compensation. Il faut faire une prévision sur le déficit. Pour 2006, nous sommes en train de préparer plusieurs scénarii. Notre département compte défendre un prix du baril entre 60 et 65 dollars.
Et en matière de raffinage, quelle est la philosophie de votre département ?
La politique du raffinage en particulier a été clarifiée et précisée de manière très transparente par les Hautes directives royales. Modernisation des installations de Mohammedia avec les capacités actuelles pour en faire une plate-forme apte à participer et assurer l'approvisionnement national. Ce qui signifie des produits propres tels qu'ils sont réglementés à l'international. En plus, un programme spécifique a été collé au programme d'investissement, une condition sine quoi non pour assurer la sécurité des installations et des populations. Si demain on voit que ces conditions ne sont pas remplies, et je pèse bien mes mots, on arrête le projet. Mais nous savons, techniquement, que les choses sont entre de bonnes mains.
Deuxièmement, en matière de stratégie pétrolière, il va y avoir un nouveau site sur Jorf Lasfer qui présente tous les atouts technico-économiques pour accueillir une seconde raffinerie qui sera réalisée par des privés. Dans ce sens, nous sommes contactés par plusieurs firmes marocaines et étrangères. Les sociétés sont en train de mener leurs propres études de faisabilité. Nous attendons que les dossiers nous parviennent pour les étudier. En plus, le même site a été retenu pour un terminal gazier. La politique pétrolière, selon les instructions royales, consiste là aussi à ouvrir ce champ aux investisseurs et de le libéraliser. Toutes les possibilités d'assurer l'approvisionnement énergétique du pays doivent être mises en chantier. La chose la plus importante et qui n'a pas de prix reste la sécurité de l'approvisionnement. Dieu merci, nous disposons aujourd'hui d'un système énergétique bien consolidé et équilibré. Le privé investit, charge à l'Etat d'assurer l'approvisionnement.
Qu'en est-il du plan gazier ?
On a beaucoup parlé du plan gazier ces derniers temps, la plupart du temps avec beaucoup de redondance. Le Plan gazier, ou comme nous l'avons baptisé, le schéma directeur du gaz naturel au Maroc, est bien mis en œuvre et c'est loin d'être une simple théorie. Le premier chantier d'introduction du gaz naturel est la Centrale de Tahaddarte qui représente 17% de plus pour la production nationale.
Le schéma directeur porte sur l'exploitation du gazoduc Maghreb- Europe (GME) qui est à l'origine de 1400 Mw. Second axe du schéma directeur, la construction d'un terminal gazier à Jorf Lasfer.
Troisième volet, les lois. Un projet de loi sur le gaz naturel est en cours de finalisation, en concertation avec tous les opérateurs marocains. Le projet du code du gaz sera déposé vers le 15 septembre au secrétariat général du Gouvernement.
À quand la mise en place du gaz domestique ?
Aujourd'hui, les premiers utilisateurs concernés par ce projet sont les industriels. Le résidentiel viendra dans un second temps. La meilleure façon d'agir, selon notre département, est de prendre des sites pilotes à l'échelle du pays. La prudence s'impose. La sécurité en amont doit impérativement être assurée. Les premières expériences seront menées en 2008. Les grands chantiers lancés présentent de bonnes opportunités.
Sur le volet électrique, la libéralisation est attendue pour cette année 2005. Où en est ce dossier?
Le secteur de l'électricité est bien avancé, voire même plus structuré que celui de beaucoup de pays européens. Nous sommes en train de consolider et de moderniser le réseau national. En second lieu, nous consolidons, une fois pour toute, les systèmes d'interconnexion dans le cadre de la boucle euro-méditerranéenne. Déjà, l'interconnexion entre le Maroc et l'Espagne est une référence en la matière. Troisième axe, nous avons introduit la libéralisation de la production électrique. Avec la Centrale de Tahaddarte, nous sommes à 75% de la production privée. La libéralisation avance à grands pas. La seconde étape de cette libéralisation reste la loi. Nous venons de terminer, il y a deux mois, le projet de loi et les décrets d'application. Ils sont en phase de finalisation en concertation avec l'ensemble des acteurs. Nous allons le soumettre avant fin octobre au SSG. Nous tenons à accélérer la cadence, au même titre que le plan gazier, afin de donner une meilleure visibilité aux investisseurs. Par ailleurs, dans le cadre de la valorisation des potentialités nationales solaire et éolienne, un plan de développement des énergies renouvelables a été élaboré en concertation avec le Centre de développement des énergies renouvelables (CDER).
En 2007, deux autres parcs totalisant une puissance de 200 MW seront mis en service, 60 MW à Essaouira et 140 MW à Tanger et une Centrale thermo-solaire d'une puissance de 230 MW sera construite à Ain Beni Mathar (province de Jérada). La réalisation d'un troisième parc éolien de 350 MW étant en cours de préparation.
La prospection pétrolière au Maroc est-elle sur la bonne voie?
Pour ce qui est de la recherche et de l'exploration pétrolière, depuis l'adoption en 2000 du nouveau code des hydrocarbures, une vingtaine de compagnies pétrolières internationales opèrent actuellement au Maroc. Par contre, il est impératif d'accorder à l'Office national des hydrocarbures et des mines (ONHYM) une dotation budgétaire, à programmer dans le cadre de la prochaine loi des Finances pour lui permettre de mener un programme d'exploration ciblé et compétitif. De bons codes sont certes nécessaires, mais un financement assez conséquant en amont est indispensable. Les besoins sont estimés à au moins 500 MDH par an. Avant 2005, l'exploration pétrolière était dotée d'à peine 60 millions DH. Quand on sait que le coût d'exploration d'un puit de pétrole en on-shore est de 10 millions de dollars… Le comité interministériel qui doit se réunir le 7 septembre a inscrit cette affaire à l'ordre du jour en plus de la Caisse de compensation, du retour à l'indexation et la libéralisation électrique.
Etes- vous optimiste quant à l'avenir énergétique du pays ?
Le Maroc a une réelle stratégie énergétique depuis 1993-1994. Sans cette politique, on aurait eu beaucoup de problèmes. Ce n'est pas le cas. D'abord, le pays est capable d'assurer sa sécurité de l'approvisionnement. Ensuite, le Maroc dispose d'un bon bouquet énergétique. Enfin, la maîtrise de l'économie de l'énergie est bien réelle. L'ensemble de ces éléments mettent le pays à l'abri de toute crise. Par contre, il faut se donner les moyens de ses ambitions futurs. Dans le cadre de la Loi de Finance 2006, je ne lâcherai pas prise sur la dotation de l'ONHYM.
Quelle énergie !
Je compte bien défendre ce dossier qui se trouve au cœur de l'avenir de la prospection pétrolière au Maroc.


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