Les dépouilles des six victimes de l'incendie du camping de Ras-El-Ma devaient parvenir hier lundi 18 juillet à leurs familles. Des familles dont la douleur n'a d'égale que la détermination d'obtenir soutien, mais surtout justice. A l'image de tous les quartiers de Rabat, la Cité Yacoub El Mansour vit au rythme de l'été en cette fin de journée ensoleillée du dimanche 17 juillet. Passée la chaleur de l'après-midi, les habitants commencent à sortir. Sur la route menant au petit bidonville Blad El Haj Ahmed, le dynamisme propre aux quartiers populaires se fait sentir. La joie également à travers les cortèges d'offrandes (Hdia), qui défilent et dont un longe le bidonville, situé en plein milieu du quartier J5. Mais une fois à l'intérieur de ce symbole de pauvreté et de dénouement, l'ambiance est tout autre. Au milieu de ce qui sert de ruelle dans ce quartier, et adossée au mur d'une mosquée, une tente caïdale de fortune est dressée. Tout autour comme à l'intérieur, femmes, hommes et enfants s'agitent. L'ambiance est chargée. Même si la lecture de Versets du Saint Coran apporte une certaine sérénité, la douleur de la famille Ellami est grande. Halima, 12 ans, fière de passer au collège, est morte dans l'incendie du vendredi au camping de Ras-El-Ma, la veille du retour des premiers bénéficiaires de l'opération «Vacances pour tous». Le chagrin se consomme en un silence religieux. Seuls des cris stridents de quelques parentes et voisines, venues présenter leurs condoléances, l'interrompent. Un chagrin qu'accentue l'état de santé de Ibtissam Ellami, cousine de Halima, entre la vie et la mort à l'Hôpital militaire de Rabat. Partageant la même baraque, les deux cousines partageaient les mêmes âge et niveau scolaire. Elles avaient aussi en commun l'affection de leur grande mère paternelle, Daouia. C'est chez elle que les deux filles vivaient, le père de Halima, Jilali, étant un petit fonctionnaire sans ressources et son frère Ghaouti, un MRE d'Arabie saoudite, ayant confié à sa mère la garde de sa femme et de ses enfants. Informé samedi, ce dernier a pris le premier vol. « Je ne savais que c'était aussi grave », dit-il, interloqué, au retour de l'hôpital où les médecins l'ont empêché de voir sa fille, en soins intensifs. Jilali est aussi sous le choc. «Quand ils m'ont appelé d'Azrou pour me prévenir, les gendarmes m'ont dit qu'elle était simplement malade. Ce n'est que bien après que j'ai su que ma fille était morte», déclare-t-il. A l'entendre, sa femme, Nezha, éclate en sanglots. Au milieu du brouhaha qui s'en suit, elle dit, comme enfin consciente : «va, ma fille, va». «Nous sommes bien dans le plus beau pays du monde». Cette fois, c'est Myriem, 20 ans, qui ironise. Le décor est plus cossu dans cette maison de Hay El Manzeh, mais la douleur est la même. Myriem El Akbari a également perdu sa petite sœur, Kenza. Agée de 11 ans, la cadette de cette petite famille était la préférée de tous. Ses parents ne jurent que par leur fille, aussi précoce que dotée d'un sens aigu de l'humeur. «Kenza parlait plusieurs langues, avait plein d'amis. Elle était toujours la première à souhaiter joyeuses fêtes aux voisins», dit d'elle sa sœur, un album-photos préparé par Kenza en une main, une carte postale écrite par elle, sans la moindre faute d'orthographe, dans l'autre. Son père, Miloudi, un gendarme à la retraite, reste digne. Il n'en est pas moins furieux. «Comment peut-on avoir la responsabilité de 120 enfants et agir avec une telle irresponsabilité, sans même prendre la précaution d'avoir des extincteurs. C'est notre faute. Nous aurions dû nous renseigner avant», ajoute-t-il en évoquant l'erreur fatale de l'économe. Celle-ci, et alors que seules les torches étaient permises, avait allumé une bougie dans la tente, celle-là même par laquelle le feu a pris. Alors que le père affirme vouloir intenter une action en justice, Myriem s'acharne à vouloir se rappeler les derniers mots de Kenza. «Elle nous demandait ce qu'on voulait avoir comme cadeau», se souvient-elle. Malika Lagouiri, elle, se souvient que sa fille, Amal Bechrej, voulait la sortir de la précarité dans laquelle sa famille vivait. Avec trois enfants à charge, Saïd, le père est vendeur de légumes. Pour l'aider, Malika travaillait comme vendeuse de harcha. «Ma fille ne cessait de me jurer qu'elle allait travailler dur pour qu'on ait notre maison à nous, que je n'aie plus à trimer», dit-elle à propos d'une fille de neuf ans et demi qu'on dit brillante, mature et sympathique. Dans sa tristesse, Malika dit son soulagement de la sollicitude royale. Comme toutes les personnes interrogées, elle a exprimé une gratitude aussi grande que sincère à l'égard d'un Roi «généreux et solidaire». «Grâce à ses instructions, nous avons eu de quoi organiser des funérailles. Grâce à ses instructions, nous savons que nous ne sommes pas seuls». Un avis que partage également Habiba Lagrini. Receveuse dans une société de transport en commun, elle vient aussi de perdre sa «raison d'être». Femme célibataire, elle ne vivait que pour Loubna, 11 ans. Pour s'être adressée à la PJ de Rabat l'instant même où elle eu vent de l'incendie, elle était la première à être informée du décès de sa fille. «C'était la première fois où elle voyageait seule. Je voulais qu'elle change d'air, qu'elle sorte de la misère dans laquelle nous vivons. Elle est partie pour ne plus jamais revenir et pour me laisser seule». Comme Loubna, elles sont six à être décédés dans l'incendie. Parmi elles, une enfant de moins de 6 ans, alors que le règlement stipule que seuls les enfants de 8 ans et demi ou plus sont admis dans le cadre de l'opération du secrétariat d'Etat à la Jeunesse. Une opération qui sent désormais le brûlé.