Le professeur de linguistique Mustapha Haddad, de l'Université de Tétouan et membre de la rédaction de la revue marocaine "Cuardenos Del Norte" (Cahiers du Nord), estime que les intellectuels espagnols ne font aucun effort pour saisir la réalité marocaine. ALM : Que pensez-vous de la lettre que 500 intellectuels espagnols ont adressée aux groupes parlementaires de leur pays et au ministre des Affaires étrangères Miguel Angel Moratinos? Mustapha Haddad : Sincèrement, je suis choqué par la position de ces intellectuels, ces universitaires et ces écrivains espagnols. A mon avis, l'intellectuel espagnol, au lieu de s'attaquer à un pays voisin, devrait plutôt œuvrer à la recherche des moyens nécessaires à l'ouverture d'un dialogue constructif avec l'autre partie, en l'occurrence le Maroc. En somme, on ne peut que regretter et condamner cette position des intellectuels espagnols à l'égard du Maroc et de son intégrité territoriale. Pourquoi, selon vous, ces intellectuels adoptent souvent une attitude hostile à notre égard ? A chaque fois que j'ai l'occasion de parler à des universitaires espagnols, je suis frappé par la distance intellectuelle qui nous sépare. J'ai toujours l'impression que ces voisins refusent de nous écouter. Au Maroc, nous connaissons parfois les moindres détails de la vie politique espagnole, mais leurs intellectuels, eux, refusent de faire des efforts pour comprendre ce qui se passe au Maroc. Chose qui me choque à plusieurs reprises, car les intellectuels français ou américains semblent souvent mieux informés sur notre pays que leurs collègues espagnols. C'est pour cette raison que je mets sérieusement en doute la valeur scientifique de la lettre de ces 500 intellectuels. Comment expliquez-vous ce désintérêt des intellectuels espagnols pour le Maroc ? Les raisons sont essentiellement historiques. Les intellectuels espagnols refusent de nous comprendre. Ils refusent surtout d'admettre que pendant huit siècles, nous avons vécu côte à côte sur le territoire aujourd'hui européen. Résultat : Ils nous évitent et renient ainsi notre histoire commune. Je me demande même comment ils peuvent connaître la réalité du polisario et le soutenir, alors qu'ils ignorent totalement ce qui se passe au Maroc. Il faut également soulever la responsabilité des intellectuels marocains eux-mêmes. Leur présence en Espagne est extrêmement faible pour ne pas dire nulle. Est-ce que vous pensez que tous les intellectuels espagnols sont dans cette situation ? Bien évidemment, il ne faut jamais généraliser. Mais ce qui est sûr c'est que les intellectuels espagnols qui connaissent la réalité marocaine se comptent sur les doigts d'une main. D'ailleurs, ces intellectuels sont eux-aussi surpris et choqués par l'attitude de leurs collègues. Parmi ces intellectuels minoritaires et qui connaissent absolument bien la réalité marocaine, je citerais à titre d'exemple l'écrivain Juan Goytisolo et l'historien Pedro Martinez Montalvez. A votre avis, comment les intellectuels marocains doivent réagir? La réaction des intellectuels marocains ne doit absolument pas être caractérisée par l'hostilité ou la rigidité à l'égard de leurs homologues espagnols. Au contraire. Car l'animosité dans ce cas n'est absolument pas dans l'intérêt des causes que défend le Maroc. Il faut noter que le gouvernement espagnol adopte aujourd'hui une neutralité positive à l'égard de l'affaire du Sahara. Pour ce qui est de l'attitude à adopter à l'égard des intellectuels espagnols, le Maroc doit nécessairement mettre au point une stratégie d'ensemble. Quels seraient les termes de cette stratégie ? Le Maroc doit assurer une meilleure présence intellectuelle en Espagne. Il faut notamment multiplier les rencontres non officielles entre intellectuels marocains et espagnols. J'insiste sur l'aspect non officiel de ces rencontres pour la simple raison que les manifestations officielles ne donnent pas souvent des résultats probants. Pensez-vous que la langue soit un obstacle pour la rencontre des intellectuels des deux pays ? Effectivement, quand les Marocains abordent les intellectuels espagnols en parlant en français, ces derniers se sentent véritablement gênés. Comme nous ne pouvons pas obliger personne à apprendre la langue de l'autre, il serait judicieux de communiquer dans une langue universelle, en l'occurrence l'anglais. Justement, quelle est la part de responsabilité des intellectuels francophones marocains ? Il est vrai que nos intellectuels sont essentiellement branchés sur la vie française. Ils doivent comprendre que le monde est plus vaste que la France. Nous devons suivre de près les débats intellectuels qui se produisent en Espagne. Aujourd'hui, le Maroc ne dispose pas d'un centre d'études stratégiques capable de traiter et d'analyser les notions fondatrices du discours politique espagnol. Nous devons donc nous armer scientifiquement pour pouvoir anticiper toute action de la classe politique et intellectuelle en Espagne. Aussi, ce qui est vrai pour l'Espagne l'est également pour l'Algérie et les autres pays de la région.