Le démantèlement tarifaire ainsi que la libéralisation progressive des échanges placent l'Administration des douanes au carrefour des échanges du Maroc avec le monde externe. Le directeur général de la Douane, Abdellatif Zaghnoun, explique les mesures prises par son administration dans ce sens. Entretien. ALM : L'effort de l'Administration des douanes en matière de la lutte contre la fraude commerciale et la sous-facturation porte ses fruits. Quel bilan faites vous? Abdellatif Zaghnoun : Effectivement, l'effort entrepris en ce domaine et les axes d'effort pour lesquels nous avons opté se sont révélés payants. C'est ainsi que les recettes douanières à la fin 2004 se sont inscrites en hausse de 6,1% par rapport à 2003 et de 7,1% par rapport aux prévisions de la loi de Finances 2004. La même tendance est constatée au terme de 4 mois de l'année en cours. Ainsi, nous enregistrons une augmentation des recettes de 12,5% par rapport à la même période de 2004 ; un dépassement des prévisions inscrites dans la loi de Finances 2005 ainsi qu'une augmentation du produit du droit d'importation de 5,5%, malgré la continuation du processus de démantèlement. Il faut cependant signaler qu'au-delà de la consolidation et de l'amélioration des recettes fiscales, l'objectif recherché avant tout est celui de l'amélioration de l'environnement des affaires pour permettre une concurrence loyale entre tous les opérateurs économiques. Avec le démantèlement tarifaire, nous nous attendions à une baisse des recettes douanières. Or, c'est le contraire qui s'est produit. Quelles sont, selon vous, les raisons d'une telle évolution? Il faut tout d'abord préciser que le démantèlement tarifaire ne porte que sur le droit d'importation qui lui-même ne représente qu'environ 25% du total des recettes douanières. Les autres principales recettes sont les taxes intérieures de consommation (TIC) et la TVA à l'importation qui ne font l'objet d'aucun démantèlement. En second lieu, l'effort entrepris depuis la fin 2004 se traduit par une meilleure maîtrise des valeurs des marchandises importées, qui servent de base de calcul des droits et taxes d'importation. Dans ce sens, nous avons mis en place des structures spécialisées dotées des meilleures compétences en matière de valeur en douane. Nous réalisons aussi une identification des marchandises sensibles à la fraude; la constitution progressive d'une base de données-valeurs. Cette base de données a été conçue et élaborée au niveau de l'Administration centrale, avant d'être mise à la disposition des structures opérationnelles et l'accompagnement par une formation de mise à niveau technique adéquate. L'évolution favorable des recettes douanières résulte également de l'appréciation de la valeur des importations taxables, notamment des produits alimentaires (blé et sucre dont les volumes ont augmenté respectivement de 53,6 et 16,2%), des produits finis de consommation (véhicules de tourisme, tissus et vêtements et appareils électroménagers) et des biens d'équipement (véhicules industriels, certains appareils et machines). La cellule de la valeur, après de longues années d'hibernation, a été récemment réactivée. Quel est l'objectif d'une telle démarche ? La structure spécialisée en matière de valeur mise en place à la fin 2004 ne constitue d'aucune manière une réactivation de la commission des valeurs telle qu'elle existait avant 1998. En fait, les démarches ne sont pas du tout les mêmes. Avant la ratification par le Maroc de l'accord de l'OMC sur l'évaluation en douane, la commission des valeurs procédait quasi systématiquement par alignement sur les valeurs déclarées les plus élevées. Depuis l'adhésion de notre pays aux règles d'évaluation issues des accords de l'OMC, nous sommes tenus d'accepter les valeurs transactionnelles des marchandises importées. La structure spécialisée mise en place récemment vise seulement à nous assurer que les valeurs qui nous sont déclarées sont bien des valeurs transactionnelles telles que définies par l'OMC et non des valeurs minorées frauduleusement ou artificiellement. Certains opérateurs plaident en faveur de l'établissement des prix d'alerte, d'autres au contraire pensent que les normes européennes en la matière peuvent servir de référentiel. Quel est votre point de vue ? Je crois que ce sujet donne lieu à certaines confusions qu'il faut éclaircir. Les prix d'alerte communiqués à nos services opérationnels ne constituent d'aucune manière des prix de référence, ou des valeurs minimales de taxation. Nous entendons respecter scrupuleusement nos engagements pris dans un cadre international et il n'est donc pas question de rétablir les prix de référence, sous quelque dénomination que ce soit. Cela étant, les dispositions de l'OMC relatives au mode de détermination de la valeur en douane n'interdisent pas aux Administrations douanières de procéder aux vérifications jugées nécessaires. Pour permettre à notre personnel de procéder valablement et efficacement à ces vérifications, nous mettons à sa disposition des éléments de comparaison appelés «prix d'alerte». Comme leur nom l'indique, ces prix d'alerte ne sont pas des bases de taxation mais des indicateurs qui doivent susciter l'éveil et des contrôles plus pointus. S'agissant des normes, européennes ou autres, elles ne relèvent pas d'une logique fiscale mais visent à protéger le consommateur final contre des pratiques de nature à l'induire en erreur, ou à mettre en danger sa sécurité ou sa santé, etc. Les agriculteurs marocains dénoncent les importations massives d'agrumes et autres produits frais, d'origine américaine notamment. Pensez-vous que les normes en la matière soient respectées ? L'accord de libre-échange conclu avec les USA n'est pas encore entré en vigueur et il n'y a donc aucune importation de produits agricoles américains. En ce qui concerne les importations de produits agricoles d'origine européenne, elles font l'objet, bien entendu, d'un contrôle du respect des normes établies, lequel contrôle normatif est exercé par les services chargés de la répression des fraudes alimentaires, relevant du département de l'Agriculture. Comment allez-vous gérer les contentieux accumulés dans le cadre des régimes économiques en Douane ? Il convient de souligner que les contentieux constatés à l'exportation et à l'importation ne constituent pas des facteurs de blocage des opérations ; le règlement du litige peut intervenir après la réalisation de l'opération. En ce qui concerne le passif contentieux accumulé en matière des régimes économiques en Douane, notamment les infractions d'abus du régime de l'admission temporaire pour perfectionnement actif ou de défaut de régularisation dans les délais réglementaires des comptes RED, il y a lieu de signaler que l'Administration a toujours privilégié le règlement à l'amiable des litiges qui tient compte de la bonne foi de l'opérateur, de l'erreur non intentionnelle, des contraintes et des difficultés de l'entreprise... D'une manière générale, l'Administration fait prévaloir la vision économique sur la vision purement fiscale, dans ses relations avec les opérateurs économiques, notamment en matière de règlement des litiges. Le recours à la justice ne s'effectue que lorsque la personne concernée refuse le règlement transactionnel du litige. L'ADII reste par ailleurs ouverte au dialogue avec les associations professionnelles pour examiner avec elles toute proposition de solution de nature à permettre de régler les passifs en suspens. En matière de ressources humaines et de dialogue social, après une certaine marginalisation et une mobilité-sanction, vos partenaires sociaux saluent la nouvelle approche. Quelle est votre philosophie en la matière ? Je ne crois pas que la mobilité serait conçue comme un moyen de marginalisation ou une sanction. La mobilité est avant tout un moyen d'optimisation des ressources humaines disponibles et qui vont en se raréfiant. Il nous faut rappeler à ce propos que les ressources humaines constituent le levier incontournable pour la réalisation de nos objectifs : accomplissement de nos missions, modernisation du fonctionnement des services de l'Administration, amélioration de nos performances, aide à apporter au tissu économique. Pour que notre personnel s'implique davantage dans la réalisation de nos missions et de nos objectifs, il faut le motiver, notamment à travers la mise en place de conditions de travail qui prennent en compte ses contraintes familiales, sociales et autres. Dans cette optique, le principe de la mobilité du personnel est maintenu, mais sa mise en œuvre devra se faire de manière plus intelligente afin d'éviter des déperditions de compétences ; prendre en considération des contraintes familiales, sociales, médicales et autres des personnes mutées ; mettre en place les mesures d'accompagnement nécessaires, notamment en matière de formation de recyclage, etc. La mobilité permet d'entretenir la polyvalence du personnel douanier, condition indispensable pour qu'il puisse prétendre à des postes de responsabilité.