Les principales entreprises de textile casablancaises, sérieusement affectées par le raz-de-marée chinois et de lourdes charges fiscales, ont mis la clef sous la porte. Une nonchalance inhabituelle régnait ce lundi 15 mai 2005 dans le quartier industriel Moulay Rachid, à Casablanca. Souad B. contrôleuse à « Jackester », société de textile, le traduit par un regard où pointe une note d'indolence. Depuis quelque temps, la fille, deuguiste en littérature anglaise à la Faculté des lettres de Settat, n'a qu'une idée en tête : gagner les côtes d'Italie! « Il n'y a plus de travail», dit-elle en désespoir de cause. En effet, Souad B. est en proie à un profond sentiment d'insécurité. En clair, elle a peur de perdre son emploi. A l'instar de sa compagne, F. Lamia, emballeuse, elle nomme son «bourreau» : «La Chine». Ce géant imbattable risque d'engloutir les 48 dirhams qu'elle gagne par jour, au prix d'un travail colossal qui peut aller jusqu'à neuf heures par jour. Souad B. autant que sa copine F. Lamia auraient évidemment espéré plus. D'autant plus que ce revenu ne suffirait même pas à payer les frais du repas de midi, ni ceux du transport, sachant que le quartier de résidence de ces deux filles se trouve à Derb Soltane. «Mais mieux vaut une misère que rien du tout », admet Souad. B, l'air résigné. Et puis, il y a la famille que cette employée doit matériellement aider à chaque fin du mois. «Je donne 500 dirhams mensuellement à mes parents», dit-elle, une larme dans la voix. Mais voilà, la crise que vit le textile marocain depuis l'arrivée des produits chinois risque de battre en brèche l'espoir de S. B autant que celui de sa famille. A. B 29 ans, en a fait l'amère expérience. Comme une dizaine de ses consœurs, en sit-in devant leur employeur «Hanane-Tex» depuis ce 13 septembre 2004. Ce jour-là, A. B s'est vu signifier par le confectionneur qu'il n'y avait plus de travail pour elle. Motif: il avait tout simplement cessé toute activité. Au grand malheur des 200 personnes qu'il employait. Ces personnes, en grande partie des filles, n'ont pas été indemnisées. Le patron, «insoucieux», les mettait au défi de recourir à la Justice: «J'ai le bras long», leur disait-il à chaque fois qu'elles réclamaient leur dû. Ces dernières, s'estimant fortes de leurs droits, n'ont pas baissé les bras. Elles ont fini par gagner le procès contre leur ex-employeur. Toutefois, le verdict, regrettent-elles, n'est toujours pas exécuté. Mais elles sont décidées à poursuivre leur sit-in jusqu'à obtenir gain de cause. Changement de cap. Il est 18 heures, société Yasman. Y. Abdellah, son patron, en avait visiblement le cœur gros. Interrogé, il a d'abord préféré nous ouvrir les portes de sa société. Un immense atelier vidé de son matériel : machines à coudre, tables de coupe… Où était donc passé tout ce matériel ? «Je l'ai vendu pour m'acheter une crémerie», lâche-il, l'air renfrogné. Mais là, à qui va-t-il pouvoir offrir ses services, le quartier industriel étant déserté de jour en jour. «Une bonne partie des sociétés, quand elles ne licencient pas, ne prennent plus personne», regrette-t-il. «La seule solution qui me reste, c'est de vendre ma société et repartir en France», indique-t-il. Vieil immigré à Paris, Y. Abdellah a jugé bon retourner investir dans son pays natal. En 1995, il se lance dans le textile en créant sa propre entreprise au quartier industriel Moulay Rachid. 7 ans plus tard, il se rendra à l'amère évidence. Les sociétés françaises, «Sofia Jean» et «Caroll», pour lesquelles il sous-traitait des articles, avaient tourné le dos au Maroc. Même son de cloche du côté de M.S, un responsable à la société «Santana.» Il affirme avoir perdu ses clients en France : «Carrefour», «EMC», «Provera», etc. À la question de savoir pourquoi ces sociétés ne sont plus intéressées par l'offre marocaine, il répond : «Ces sociétés ont trouvé en Chine des prix trois fois plus intéressants que les nôtres», explique-t-il. D'où la «déroute» des confectionneurs marocains qui, avec le départ des donneurs françaiss en Chine, ont perdu un partenaire européen de poids. Maintenant, y a-t-il une alternative ? «Si on ne limite pas les cotations de la Chine au niveau de l'importation, principalement textile, personne n'y pourra rien», dit M.S. Et de citer les Etats-Unis, pourtant partisans inconditionnels de la levée des barrières douanières, mais qui ont imposé un quota sur le textile en provenance de Chine. Simplement, se résigne M.S le Maroc n'a pas les mêmes «armes» que les Etats-Unis. Faudrait-il pour autant baisser les bras ? «Les confectionneurs marocains, note-t-il, sont appelés à passer dans un circuit autre que celui des partenaires traditionnels comme la France et l'Espagne». La société «Santana» convoiterait déjà le marché britannique, vers lequel elle compte exporter ses «jean's».