Quatre cents Marocains encore emprisonnés, des milliers d'autres séquestrés, tous sur le sol algérien. Abdelaziz Bouteflika est sans conteste un bon discoureur. Actuellement le président algérien est en tournée en Amérique latine. Alors, il fait des discours. Le problème c'est qu'il n'en rate pas une pour enfoncer le clou. Ce n'est plus le chef de l'État algérien qui s'exprime. C'est le VRP du Polisario. On dirait qu'il n'a pas d'autres choses à faire. J'ai lu pratiquement tous ses discours, c'est tout le temps la même soupe obsessionnelle. Il n'arrête jamais. Une vraie maladie. Pas la peine d'aller jusqu'au bout du monde s'il faut toujours trimballer avec soi ses propres démons. Une hantise angoissante qui fait que même pendant un déjeuner officiel au Chili, il remet le couvert, selon son expression, de la décolonisation du Sahara occidental. Un morceau choisi : «Nous sommes en train de consolider l'Union du Maghreb Arabe, qui constituera pour vous un partenaire commercial et économique du plus haut intérêt dès qu'il aura parachevé la mise en place de ses structures et des instances qui doivent le gérer. Cette mise en place de l'Union du Maghreb Arabe est quelque peu compromise par le problème du Sahara Occidental qui, bien que mettant aux prises le royaume du Maroc et le Front Polisario, a donné lieu à des malentendus dans les rapports algéro-marocains. Il s'agit pourtant là d'un problème de décolonisation qui a été pris en charge par les Nations Unies et dont la solution réside dans l'exercice par le peuple sahraoui de son droit à l'autodétermination. La question est toujours à l'ordre du jour du Conseil de sécurité et j'espère que des pressions de la Communauté Internationale amèneront les deux protagonistes à trouver un terrain d'entente, facilitant la tenue du référendum d'autodétermination qui constitue la clé du problème. L'Algérie fera tout pour faciliter un tel aboutissement et pour que les rapports fraternels qu'elle veut entretenir avec le Maroc ne souffrent en aucune manière de la persistance de ce conflit.» Un malentendu de 30 ans. C'est à cela que Abdelaziz Bouteflika résume l'affaire du Sahara marocain. Quatre cents Marocains encore emprisonnés, des milliers d'autres séquestrés, tous sur le sol algérien, une guerre larvée et l'économie qui va avec, un Maghreb en panne sèche, des peuples isolés et cela ne nous fait qu'un simple malentendu. Il faut se retenir de rire. Il a raison Abdelaziz Bouteflika de parler de la clé du problème. C'est lui qui a fabriqué la clé et la serrure. Personne mieux que lui ne connaît les raisons profondes de la création de ce conflit superficiel. Faire tomber le régime marocain, inféoder le voisin dans le cadre d'une vision prussienne du Maghreb, cultiver un faux sentiment de puissance chez le peuple algérien pour l'empêcher de demander des comptes à ses dirigeants, entretenir une camarilla de généraux vivant sur le dos de l'habitant etc. Tout cela a fondu comme neige au soleil. Le régime marocain est toujours là, plus légitime que jamais, et aspirant plus que jamais à la modernité. La Marche verte a consacré un pacte démocratique entre la monarchie et les forces du progrès. La société marocaine continue à être intraitable sur son intégrité territoriale. La transition politique avance, sereine, malgré les tentatives de manipulation, qu'elles soient nihilistes, séparatistes ou salafistes. L'économie est plus ouverte que par le passé sur le monde. Les réformes, certes difficiles, vont bon train. Et le reste est de la même eau. La serrure de Abdelaziz Bouteflika n'a pas fonctionné malgré, comme il dit, la persistance du conflit. Maintenant pouvons-nous en dire autant de l'Algérie ? Qu'a gagné ce pays frère dans cette affaire imposée d'en haut à un peuple valeureux ? Pouvons-nous dire par ailleurs - à part la manne pétrolière dont le flux ne doit rien ni à la clairvoyance ni à la lucidité des gouvernants algériens- que les choses se sont mieux passées en Algérie ? Sincèrement, excusez l'euphémisme, je ne le pense pas. Il ne s'agit, ici, ni de se complaire dans le malheur des autres ni de se vautrer dans un «patriotardisme» de mauvais aloi. Rien n'a fonctionné comme prévu et cela a surtout généré de la violence, de la haine, de la perte du temps et du ressentiment chez tout le monde. Pour ce qui concerne les rapports fraternels, je suis désolé, Abdelaziz Bouteflika, à mon sens, n'est pas très qualifié pour en parler aujourd'hui. S'il a réussi à ce jour à être le stratège parfait de la tension, il va falloir, demain, qu'il fasse de très gros efforts pour qu'il soit perçu, au moins pour notre part, comme l'artisan d'une paix sincère et fraternelle.