Nous n'avons pas prévu la rechute. Le confinement salutaire et l'apprentissage qui en a découlé s'est vite oublié. L'oubli contre toute résilience. L'oubli comme déni. L'oubli comme clivage. Un retour frénétique à la vie normale. Une inconscience consciencisée au nom d'une victoire humaine onirique. C'est l'asile à ciel ouvert. La liberté retrouvée, nous courons à nos chaînes. Les conduites ordaliques sont de mise. On se met en danger. On court à sa perte. La tête haute. Un verre à la main embrassant l'humanité en sueur dans un bar prisé de la ville. Mieux encore ! On enlace la vie dans un bain de foule à la quête de la faucheuse qui rôde. C'est une roulette russe à ciel ouvert. On se teste. On flirte avec la mort. On s'en branle. On rentre chaque soir, repu, vainqueur, pour reprendre le même comportement. Après la rédemption, la déperdition rappelle à l'homme la nécessité de pécher. Pécher ! Quel délice ? Pour un repenti monothéiste réinventé afin de maintenir la dépendance à un destin fatal sans responsabilité aucune. Un destin qui s'abat comme une épée de Damoclès, pour permettre l'élévation, après expiation et purgatoire. C'est impressionnant de voir comme l'intelligence première pour faire face aux catastrophes, habituellement capitalisée dans nos mémoires collectives, n'a pas pris cette fois-ci. C'est intéressant de voir un homme digitalisé 2.0 qui a renié sa mémoire programmée biologique protectrice pour une mémoire courte rapidement remise à jour. Pour une humanité incapable de perdurer puisque sans mémoire. Le paramètre «temps» n'a pas été pris en compte. Sans mémoire, le temps s'écourte. L'homme court à une sélection naturelle certaine. Combien de temps avons-nous à ce rythme effréné avant une catastrophe imminente ? Les recettes santé et pilules du bonheur prescrites ou pas n'y feront rien. Le souffle ! Le souffle est court. On est pris à la gorge. On étouffe. On dénie la réalité et on s'invente une victoire sur un virus qui tue toujours mais qui ne nous tuera pas. Comment oserait-il ? Le virus révèle à un nouveau monde qui nécessite un Homme différent avec des outils différents, des valeurs différentes, une résilience autre, des idéaux nouveaux, des rapports humains transcendés. Un retour au réel qui n'empêchera guère l'éternel retour mais qui ralentira ou transcendera l'effondrement, qui sait ? Mais en bons humains de série que nous sommes, nous avons vite oublié nos masques ; et la distanciation sociale enfreinte nous permet un peu plus d'adrénaline. Nous prenons plaisir à jouer avec le virus. Une vraie tragédie comique. Le confinement sanitaire planétaire n'est pas une retraite de santé improvisée en Suisse pour se repulper les lèvres et perdre du poids avant l'été. Pourtant, les paons fanfaronnent et les danses nuptiales n'oublient pas l'apparat. Le défilé de voitures W est burlesque. On achète une voiture à 750.000 dirhams «donnée», puisque le concessionnaire très humain et proche de ses clients s'est saigné à retirer 25% et a tout apprêté pour ne faire payer son cher client qu'en 2021. Burlesque est un euphémisme, car ça me fera une belle jambe d'admirer la carrosserie de ma voiture de luxe que je ne paierai que l'année prochaine, quand ma propre carrosserie sera menacée. C'est sûr que reconfinés, tapis à l'abri du virus, retrouvant nos angoisses de lavage et rituels, nous serons heureux de sublimer et nous protéger derrière nos nouvelles voitures. Il aurait fallu développer des stratégies communautaires de résilience et de sérénité, dont les prémices sont loin d'être perceptibles devant l'élan de solidarité du confiné balayé par la compulsion frénétique de posséder. L'homme, la réalisation de ses désirs, l ‘accomplissement de ses fantasmes toujours plus grands et démesurés, la démesure de son immaturité irresponsable, son appétence pour le pouvoir et le contrôle, ses penchants pour la destruction et plus encore l'autodestruction, ont eu raison de Dieu. L'homme devient son propre Dieu et joue avec les règles. L'homme joue avec sa mort et porte son humanité à l'échafaud. Un violent retour à la réalité nous attend. Le déconfinement avait un programme et des règles. Ces règles sont garantes d'une réduction des risques quant à la maladie. Le but premier est de nous protéger et protéger ceux que nous aimons. Mais il est plus percutant et sensationnel de s'aimer et protéger les siens dans le danger absolu. L'angoisse nous accompagne ; et à sa levée sous réserve, nous la cherchons, nous la nourrissons. Ou pire ! Nous lui redonnons vie. Car compter les morts à travers la planète et le nombre de cas est devenu un rituel nécessaire. Je triomphe inconsciemment à chaque survie. Et l'homme 2.0 redevient primal. L'instinct premier de survie le sort de sa grotte et lui fait courser le danger ; allant au devant de sa perte pour une consécration tribale ancrée dans un cerveau reptilien qui reprend ses droits. La nature reprend les rênes. L'Homme a failli. Son règne est fini. A qui le tour ? La rechute n'a pas été prévue. Nous avons compté sur la maturité et la responsabilité humaine en oubliant que c'est cette même responsabilité qui a conduit à un virus 2.0 pour un homme 2.0. Dernière technologie. Virus de pointe pour un homme version high-tech. Nous avons réussi l'élévation au rang divin, moins cléments envers nos semblables que l'aurait été notre divinité, nous ne nous sommes pas ratés. Et maintenant on teste sa survirussité, ou si j'ose dire survirosité. Le surhumain n'est plus à l'ordre de l'élévation. Le but n'est pas d'en sauver le plus mais plutôt à celui qui en tue le plus et survit. On s'approprie la mort en objet statistique et les moyens sont à la pointe. Agrippés à leurs téléphones, les Marocains, qui connaissent le masque et n'ont donc plus besoin de le porter, sirotent leur thé ou leur whisky en pianotant sur l'application Corona, dont la courbe ascendante inquiète peu puisque le sur-Marocain serait invincible. Assurance narcissique de la victoire. Irresponsabilité. Immaturité. Comportement inconscient d'autodestruction. Le syndrome est au complet. C'est la rechute. Reconfinez s'il vous plaît !