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Et le virus sonna le glas!
Publié dans Albayane le 03 - 05 - 2020

Il fallait finalement que le choc d'une pandémie se déferle sur le monde pour enfin prendre conscience de l'ébranlement vertigineux que connaissait notre humanité ces dernières décennies. Il y a plus ou moins un mois, tout à coup, les humains ont dû interrompre l'élan que prenaient leurs vies devenues frénétiques. Une partie d'entre eux s'est alors ruée vers les étals des commerces avant de se terrer chez soi.
Pour les autres, il fallait trouver des solutions urgentes et impérieuses pour estomper les dégâts de leur misère qui était, elle, jusque-là mise sous des tapis de discours politiques creux et populistes. Soudain, l'invisible a transformé la proximité physique avec l'autre en une menace sur sa vie et celles de ses proches. La peur de la mort s'est immiscée dans nos gestes quotidiens les plus banals et la survie est devenue la plus grande priorité de chacun d'entre nous. Pour cela, les humains ont dû abandonner leurs rituels, leurs codes culturels, familiaux et sociaux pour protéger leur santé physique et la vie de leurs aïeux.
Les humains ont dû abandonner leurs habitudes, suspendre leurs activités sociales et voir leur liberté hypothéquée pour le bien être de tous. En fin de compte, il fallait une pandémie pour que l'idée de bien-être général reprenne sens, atténuant ainsi l'individualisme endurci dont nous faisions preuve, avec des airs de matamore, depuis quelques années. Il est encore difficile de mesurer l'impact psycho-social qu'un tel bouleversement peut provoquer dans notre mémoire collective et par conséquent sur notre futur.
Les plus jeunes ont dû quitter les bancs d'écoles pour poursuivre leur apprentissage chez eux, aidés par leurs parents pour les plus chanceux. Il est également difficile de mesurer aujourd'hui l'impact de cet enseignement à distance que les Etats se sont empressé de mettre en œuvre. Qu'en est-il de leurs conditions sociales et géographiques disparates? Puis, il y a ces enfants, si nombreux, qui rêvaient encore il y a quelque temps de pouvoir se frayer un jour un chemin vers l'école, aussi périlleux soit-il. Ceux qui s'entassent dans des camps de fortunes. Sans oublier ceux qui, séparés de leurs proches, se pressaient au péril de leur vie sur les routes migratoires conduisant à des cieux plus cléments.
Est-ce que nous nous rappelons de l'état du monde avant l'arrivée inexorable de cette pandémie? Nos vies étaient réglées par des opinions tranchantes et violentes qui n'hésitaient pas à assommer les voix dissonantes d'une indifférence désabusante. Dans son chef d'œuvre Les raisins de la colère, John Steinbeck nous rappelle : « craignez le temps où l'Humanité refusera de souffrir, de mourir pour une idée, car cette seule qualité est le fondement de l'homme même, et cette qualité seule est l'homme, distinct dans tout l'univers ». Peut-être que nous étions cette Humanité-là quand cette pandémie se propagea. Une Humanité où les derniers hommes ont balayé, au fil des années, d'un revers de main le bien-être commun et les droits universels au nom desquels tant d'encre a coulé et de sang a giclé.
Cela étant dit, une fois confinés et remis de l'ivresse du choc, ils commencèrent à nourrir leur espoir de retour à la «vie d'avant». Cette expression est assez curieuse. Il y même ceux qui ironisent en s'amusant à dire que cette année 2020 n'a jamais existé. Comme si les humains avaient, à un moment précis, cessé de vivre. Comme si le temps s'était suspendu. Comme si les humains étaient dans l'antichambre de la mort. En attente d'un retour à la vie ! En attendant, c'est peut-être une opportunité pour nous de percevoir le sens de de ce que nous traversons. Que peut-on percevoir de cette antichambre où se sont entassés près de trois milliards d'êtres humains?
Nous avons d'abord entendu des cris d'étonnement et de sidération.
Dès que les Etats ont adopté les restrictions de confinement et des gestes barrières, les humains ont communément partagé leur étonnement que cette pandémie soit arrivée de manière abrupte sans avoir pu être prédite. Ils étaient drôlement étonnés qu'aucun drone, ni satellite, ni centre de recherche, ni algorithme n'aient pu alerter de son arrivée. À partir de cette antichambre, nous pouvons entendre la vie glousser et rappeler à l'Homme que l'improbable et l'invisible peuvent encore à tout moment ébranler son acharnement de matamore à maîtriser son temps.
L'invisible pointa du nez. Et le virus sonna le glas!
Il nous rappela que, finalement, les relations sociales et humaines n'ont pu être dévorées par l'hégémonie des écrans et des réseaux sociaux sur nos vies. En parlant à travers des écrans et des applications, nous découvrîmes que les silences que nous permettaient nos échanges et conversations avaient leur sens. Nous ressentîmes cette nostalgie des moments où les gestes et corps prenaient le temps de s'échanger sans utiliser le verbe.
En fin de compte, tout n'était pas perdu. Encore fallait-il en prendre conscience ! Une pandémie était donc nécessaire pour constater que l'essentiel restait encore entre les mains de l'Homme. La vie a donné une réelle occasion à ceux qui ont la chance de se confiner de regarder en face le monde et les autres. Mais surtout de se dévisager eux-mêmes. Il fallait une pandémie pour nous rappeler que nos destins sont communs et que nous ne pouvons construire des îlots identitaires sur cette terre sous prétexte d'un désir de sécurité.
C'est peut-être une occasion pour s'y pencher. Peu importe les réponses qu'on trouvera, l'essentiel est de faire entrer ce silence en soi pour pouvoir penser. Cette antichambre est peut-être imaginaire. Mais il est fort probable que ses murs ne soient que de nouveaux chemins vers des pensées universalistes que tant de penseurs et écrivains n'ont cessé de clamer de leurs voix éraillées. Essayons de percer son plafond avec en se munissant d'une une nouvelle forme du pouvoir. Il fallait finalement une pandémie pour rappeler que l'Humanité n'est pas divisible.
Dans son Discours d'acceptation du Prix Nobel, le 10 décembre 1958, Albert Camus nous rappelle que «Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse» (Conférences et Discours, Gallimard).
Nous sommes cette génération aussi!


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