Entretien avec Youssef Chraibi, président du Groupe Outsourcia Plusieurs entreprises dans le monde ont récemment fait part de leur intention de recourir au télétravail jusqu'à nouvel ordre. C'est le cas des géants du numérique comme Google, Twitter ou encore Facebook qui ont réinventé leur mode de travail pour s'adapter à long terme aux contraintes imposées par le Covid-19. Au Maroc, le Groupe Outsourcia (opérateur marocain spécialisé dans la relation client et les métiers de l'outsourcing) a créé récemment la surprise en annonçant qu'il proposait à ses collaborateurs la possibilité d'opter indéfiniment pour le travail à distance. Organisation interne en période de confinement, maintien ou abandon des sites, optimisation des coûts, effets de la crise sur le chiffre d'affaires (CA), perspectives d'avenir…Youssef Chraibi, le président du Groupe Outsourcia, répond à nos questions. ALM : Le coronavirus change complètement le modèle économique des entreprises. Comment Outsourcia s'est-il organisé en interne pour assurer la continuité de ses services pendant la période de confinement ? Youssef Chraibi : Le confinement a incontestablement joué un rôle d'accélérateur du télétravail comme cela arrive souvent durant des crises majeures qui révèlent des tendances émergentes et les transforment en nouvelles normes d'usage. Je pense clairement que c'est le cas du télétravail mais également d'autres tendances telles que la digitalisation comme nous avons tous pu le constater. Je vous rappelle brièvement la genèse de cette décision. La priorité au départ était d'assurer une sécurité sanitaire pour nos collaborateurs. En quelques jours, nous avons dû travailler de façon acharnée pour installer plusieurs centaines de postes de travail dans les domiciles de nos collaborateurs afin de maintenir leur activité et d'assurer une continuité de service à nos clients, dont certains avaient encore plus besoin de nous pour pallier l'interdiction des interactions physiques. Enfin il s'agissait pour nous de maintenir au mieux notre activité, dans un contexte d'effondrement de la demande. Vous avez récemment pris la décision de passer définitivement au travail à distance, qu'est-ce que cela implique réellement pour votre entreprise, pour ses employés au Maroc et ailleurs, et pour vos partenaires ? Nous nous sommes rendu compte après quelques semaines que, face à cette contrainte, les aspects positifs étaient très nombreux. On dit souvent que l'adversité nous pousse à nous réinventer. On a clairement pu en faire l'expérience. On a ainsi découvert de nouvelles opportunités. D'abord pour nos salariés : ça leur permet d'avoir une meilleure qualité de vie, une meilleure organisation entre le temps de travail et le temps personnel, la réduction du temps et des frais de transport et de repas. Puis pour nos clients : cela implique une solution pérenne de continuité de service. Enfin on s'est rendu compte que le modèle du télétravail pouvait également être synonyme d'une meilleure performance économique liée à une meilleure productivité et ce, en raison d'un meilleur dimensionnement de nos capacités de production en fonction des besoins réels et évolutifs de nos clients. Au moment où je vous parle, 90% de nos collaborateurs sont en télétravail. Nous ne voyons aucune raison de mettre fin à ce modèle qui nous semble vertueux même après la fin des restrictions liées à la crise sanitaire. Qu'est-ce que cela va changer au niveau des sites et est-ce que vous prévoyez de vous séparer de certains de vos locaux par exemple ? Depuis le début de cette crise, Outsourcia a cherché à être proactif dans la gestion de cette situation et à répondre à deux objectifs prioritaires : d'une part, la protection sanitaire et financière de nos collaborateurs et, d'autre part, la continuité de service vis-à-vis de nos clients et partenaires. Au niveau sanitaire, nous avons mis en place une charte de conformité sanitaire via l'Afnor (Association française de normalisation, ndlr) avec notre association sectorielle l'AMRC (Association marocaine de la relation client, ndlr). Ces dispositions, encore plus strictes que les recommandations de l'OMS et du ministère de la santé ont été déployées sur l'ensemble de nos sites avec l'instauration de nouveaux gestes et habitudes sanitaires mais aussi la réorganisation de nos plateaux (avec notamment l'espacement des positions avec la condamnation d'un poste de travail sur 2 et la condamnation des salles de pause et autres espaces communs à forte densité. Suite à notre annonce concernant notre volonté de poursuivre durablement le télétravail à chaque fois que cela est possible, nous estimons que cela concernera environ 40% de nos collaborateurs. Nous aurons donc besoin de moins d'espaces de production. Je peux vous annoncer que nous avons déjà libéré un de nos sites de production à Casablanca. Quels sont les coûts que le télétravail vous a permis d'optimiser et comment se porte votre chiffre d'affaires ? Les économies concernent dans un premier temps nos besoins en termes de locaux, mais également au niveau des primes de transport et tickets restaurant pour nos collaborateurs. Par ailleurs le plus important est le gain en termes de productivité lié à une meilleure utilisation de nos capacités de production. Tout cela a donc été salutaire dans un contexte de baisse notable de chiffre d'affaires de l'ordre de 30% en avril et mai, nous permettant ainsi de maintenir 100% de nos emplois pour le moment. Quelles sont vos perspectives pour la période post-Covid et quelle sera votre stratégie pour la suite de vos projets ? Nous espérons que nous pourrons retrouver une activité normale d'ici au dernier trimestre de cette année. Nous n'avons d'autre choix que de conserver une organisation très agile et piloter à vue afin de s'adapter à un monde dorénavant incertain. Pour nous, la stratégie d'une entreprise est avant tout une addition d'opportunités, saisies ou, encore mieux, créées au bon moment. Nous restons ainsi globalement confiants malgré cette adversité.