Le fait religieux n'est pas réductible uniquement au sous-développement, à la misère ou à l'exclusion. La manière dont a été accueillie la mort du Pape a montré que les Catholiques tiennent, autant que les autres, à leur propre spiritualité. L'émotion ressentie a fait sortir presque tous les États d'une réserve laïque entretenue par des dizaines de décennies de séparation entre l'Eglise et la gestion des choses du bas monde. Enfouis sous des couches successives de modernité et de «scientisme», nous avons découvert la ferveur des croyants à l'état brut. Et c'est tant mieux. C'est tant mieux parce que nous sommes intéressés par toute manifestation authentique de la foi qui ne soit pas tout de suite caricaturée, salie, falsifiée ou avilie. Nous sommes demandeurs, nous Musulmans, de toute expression spirituelle qui grandit les êtres et leur fait désirer une humanité meilleure. Le fait religieux n'est pas réductible uniquement au sous-développement, à la misère ou à l'exclusion. L'Occident riche, repu et avancé, pleure son pape comme les Chiites pleurent leur imam lors de l'Achoura. Mais là, nul sarcasme n'est perceptible. Ils allument des bougies pour la paix de son âme comme n'importe quel pèlerin le fait chez nous pour son Saint vénéré. Mais, là non plus, nulle dérision ne pointe. Et nul soupçon d'analphabétisme n'entoure cet acte lumineux. Ils prient durant des nuits sans qu'aucun procès en intégrisme suspect ne leur soit fait. Nous sommes face à la religion des autres. Celle que l'on comprend peu ou pas assez. Celle à laquelle on ne peut être sensible qu'en mobilisant nos propres dogmes ou nos propres croyances. Nous avons de la compassion pour ce pape polonais qui fait de la paix, du dialogue entre les religions, du respect des faibles son unique et véritable sacerdoce. Nous avons de l'estime pour cet homme de religion qui était à la fois ouvert et moderne, mais qui n'a jamais cédé sur ce qui fait le message fondamental de sa religion. Nous avons du respect pour ce pape qui a su demander pardon, su faire preuve de contrition et d'humilité pour faire oublier les pages sombres du passé de son Église. Le pape est mort, mais nous Musulmans, aujourd'hui, quel est l'état de notre religion? Quelle est son image ? Quel message universel porte-t-elle ? Quel amour entre les hommes peut-elle livrer à l'humanité, quand, en son nom, des innocents sont égorgés ? Quelle compassion peut-elle diffuser entre les êtres quand la mort semée en son nom est validée par des fatwas d'hommes de peu de foi et de peu de religion ? La mort du pape est aussi pour nous un moment de douleur, de doute et de réflexion, sur nous-mêmes, et sur ce que nous avons fait de notre spiritualité, de notre croyance, de notre message, de notre religion. Vous avez votre religion et, moi, j'ai la mienne, et pourtant… Le pape connaissait bien la terre de l'Islam. Il connaissait, aussi, bien les Musulmans pour avoir beaucoup dialogué avec eux. Mais nous, Musulmans, dialoguons-nous, encore, entre nous ?