Pour Dr. Khalid El Alj, neuropsychiatre, les attentats de vendredi soir représentent la forme de violence la plus radicale, que seul un haut degré d'endoctrinement peut entraîner. Entretien. ALM : A votre avis, quelles sont les raisons qui poussent des jeunes à se faire exploser dans des attentats-suicide qui entraînent non seulement leur mort mais aussi celle de plusieurs personnes innocentes ? Dr. Khalid El Alj : Je tiens d'abord à préciser que ce n'est pas un suicide. Le suicidé choisit de mourir pour protéger du monde extérieur. Il se croit tellement méchant qu'il doit se tuer pour ne pas faire mal aux autres. Ce qui est loin d'être le cas du terroriste. On dirait qu'il s'adresse à ses victimes en disant : « En me tuant ainsi en face de vous, je vous montre votre propre mort ». Et c'est le degré le plus radical de la violence. Je dirais également que ces kamikazes-là sont manipulés. Ils ne sont pas les vrais commanditaires de ces actes. Ils ignorent les tenants et aboutissants de ces attentats. Les vraies têtes pensantes de ces actes n'agissent jamais. Elles donnent des ordres. Les auteurs d'attentats, quant à eux, subissent un tel degré d'endoctrinement et de lavage de cerveau qu'ils ne peuvent qu'obéir. Leurs « gourous » leur font miroiter un ailleurs meilleur et un au-delà où tous leurs rêves seraient une réalité aussi accessible qu'éternelle. Mais ils oublient que même la religion interdit ce genre d'actes barbares. Voulez-vous dire que ces terroristes sont facilement influençables ? La crise socio-économique joue un rôle très important dans l'embrigadement de ces personnes. Mais au-delà de cet aspect, leur personnalité est de constitution archaïque. Ils sont toujours dans le stade du narcissisme primaire proche de la psychose. La personnalité traverse plusieurs phases dont le narcissisme primaire qui devient secondarisé chez les adultes. En d'autres termes, ces gens-là n'ont pas de limites entre la vie et la mort. Pourquoi, selon vous ? Il s'agit de la résonance de conflits anciens. Lors des premières étapes de leur vie, ils ont vécu des expériences qui leur ont laissé des points de fixation. N'importe qui n'accepterait pas de se tuer pour une cause qui, à la réflexion, n'est pas valable. Les terroristes se basent sur la violence pour imposer leur point de vue. A mon avis, ces actes abjectes sont pervers dans la mesure où ils visent à instaurer dans la société une loi qui n'est pas celle d'un code social consensuel auquel tous se plient, mais une autre, tout à fait différente, qui n'appartient qu'à ces terroristes. Pensez-vous que les attentats de Casablanca pourraient banaliser ce genre de violence dans notre société ? En tout cas, une ligne rouge a été franchie vendredi dernier, mais pas au point de parler d'une banalisation de ce genre de violence. J'insiste sur le fait que n'importe qui ne peut pas devenir terroriste. La preuve, deux des kamikazes n'ont pas péri. Tuer des gens d'une manière aussi gratuite est quand même un acte très violent. Je pense que les commanditaires de ces attentats ont essayé d'introduire un nouveau modèle de violence que notre culture, aussi bien individuelle que collective, ne connaissait pas jusque-là. La société marocaine a ses psychopathes, ses malades mentaux, qui n'ont cependant jamais atteint ce stade de violence et de barbarisme. Quelles sont les conséquences de ces attentats sur la psychologie de la population ? Les personnes qui ont survécu sont terrorisées, angoissées. Elles peuvent développer des névroses traumatiques effroyables, et ce après un certain temps d'incubation. Il s'agit d'une réorganisation de la personnalité de manière à ce que l'acte barbare lui-même devienne un corps étranger à l'intérieur de sa personnalité. La personne essaye alors de lutter pour l'expulser ou pour le métaboliser, c'est-à-dire le comprendre et l'accepter. Elle revit l'acte tant pendant la journée que la nuit dans son rêve. Effacer ces séquelles demande beaucoup de temps.