Comme gage de sa bonne foi dans la lutte contre l'immigration clandestine, le Maroc vient de se doter de deux instances pour essayer d'éradiquer ce phénomène. Mais le Royaume, lui-même victime des flux migratoires incontrôlés, ne peut pas être le réceptacle de la détresse des clandestins d'origine subsaharienne. Principale cible des candidats au départ, l'Espagne est appelée à réfléchir avec le Maroc sur une politique commune de lutte contre l'immigration illégale et les réseaux des passeurs. Faute de quoi, il serait difficile de combattre efficacement un phénomène engendré par la misère et le désespoir. Avant d'arriver au Maroc où ils attendent l'occasion de gagner le territoire espagnol, les clandestins subsahariens transitent par nombre de pays dont la Libye et l'Algérie. Si accord de rapatriement devrait y avoir, il doit logiquement impliquer l'ensemble des pays traversés par ces flots impétueux d'immigrants. La réunion du ministre de l'Intérieur, El Mostapha Sahel, et son homologue espagnol, Angel Acebes, qui a eu lieu mardi à Madrid, n'a pas dépassé le cadre des concertations et a été limitée à un échange de points de vue entre les deux responsables sur la manière d'affronter ensemble le problème de l'immigration clandestine. Arrivé au siège du ministère espagnol de l'Intérieur à 17 H (heure locale), Sahel s'est d'abord entretenu avec son homologue espagnol en tête-à-tête. Une réunion qui a duré plus que la séance de travail élargie aux membres des deux délégations les accompagnant et qui a eu lieu par la suite. Entre ces deux rounds de négociations, les deux ministres ont tenu une conférence de presse conjointe durant laquelle ils ont annoncé les décisions prises par les deux parties et les résultats de leurs travaux largement suivis par les médias ibériques. Toutefois, les journalistes présents seront déçus. L'annonce de la décision tant attendue par les journalistes n'était pas au menu. Le Maroc n'acceptera pas automatiquement le rapatriement de tous les immigrés clandestins d'origine subsaharienne. Le préaccord signé en avril dernier par le chef de la délégation marocaine participant aux travaux de la commission mixte maroco-espagnole sur l'immigration, qui prévoit le rapatriement des Subsahariens, n'a pas été ratifié par le ministre marocain comme prévu. Lors de la conférence de presse, la majorité des questions seront axées sur ce sujet. Des questions que le ministre marocain esquivera en axant ses interventions sur l'unique décision prise lors de sa rencontre avec son homologue espagnol, à savoir la création d'une commission bilatérale permanente chargée de la question de l'immigration clandestine. Les deux ministres ont indiqué avoir convenu d'adopter une démarche globale et intégrée qui prend en considération l'ensemble des aspects de la coopération en la matière. Les deux ministres ont expliqué qu'il s'agit d'une commission permanente au niveau des ministères de l'Intérieur du Maroc et d'Espagne et qui tiendra des réunions mensuelles, dont la première est programmée pour le 3 décembre prochain. Elle aura pour mission de d'approfondir la réflexion et de faire des propositions concrètes sur les moyens de la mise en oeuvre pratique de la coopération bilatérale et de la régulation des flux migratoires. Son champ d'action sera élargi à l'ensemble des questions relatives à l'immigration, plus particulièrement les mécanismes communs à mettre en place pour le suivi des actions opérationnelles, l'échange d'informations et d'officiers de liaison, l'engagement d'opérations conjointes et concertées entre les forces de sécurité des deux pays, la concertation à tous les niveaux et une coopération fluide et permanente à travers des contacts entre responsables régionaux et nationaux. Les deux responsables ont aussi annoncé que le Maroc et l'Espagne se sont engagés à associer à ces démarches communes l'ensemble des pays de la région dans un cadre de responsabilité partagée et solidaire. La conférence de presse a aussi été l'occasion pour le ministre marocain de mettre en exergue la portée multidimensionnelle des dernières décisions de Sa Majesté le Roi de doter le Maroc de nouvelles administrations spécialisées dans la lutte contre l'immigration clandestine. Sahel a particulièrement affirmé que les mesures annoncées par le Souverain seront "très rapidement mises en oeuvre et permettront de développer davantage la lutte contre l'émigration clandestine". Aussi a-t-il ajouté que ces organismes faciliteront l'obtention des "résultats probants dans la lutte contre les réseaux de trafic d'êtres humains et de leur exploitation criminelle des personnes". Le titulaire de l'Intérieur a aussi rappelé que le Maroc s'est doté de l'arsenal juridique nécessaire à la lutte contre ce phénomène soulignant l'adoption par le Parlement, en juin dernier, d'une loi qui "criminalise les actes d'organisation et activités de l'émigration clandestine". Appelé à commenter l'importance des résultats atteints lors de la réunion avec son homologue espagnol, le ministre marocain a expliqué que les deux pays sont aujourd'hui passés à un stade opérationnel pratique et qu'ils ont "pris ensemble le chemin d'une coopération opérationnelle qui va aller au-delà des réunions pour agir sur tous les plans de l'émigration clandestine en combattant d'abord et avant tout les réseaux mafieux du trafic d'êtres humains". Côté espagnol, la déception était visiblement affichée. Le ministre espagnol, qui avait programmé d'annoncer triomphalement l'acceptation par le Maroc du rapatriement vers son territoire des immigrés clandestins subsahariens, n'a finalement annoncé aucune décision concrète et s'est contenté de co-annoncer avec son homologue marocain la création de la commission permanente. En somme, la réunion de Madrid n'a abouti à aucune décision concrète, mais elle a permis à la partie espagnole de comprendre que seule une volonté sincère de lutter ensemble est capable de mettre un terme au drame vécu quotidiennement sur les deux rives de la Méditerranée, et qu'on ne peut pas lutter contre un problème aussi grave en se limitant à jeter la balle dans le camp de l'autre.