Devant une salle archicomble, un pianiste italien a remporté, samedi dernier au théâtre Mohammed V, le premier prix du concours international de musique du Maroc. Cette troisième édition étaie la réputation internationale de l'événement. Quelle success story ! Un Marocain passionné de musique, Farid Bensaïd, propose à une banque l'organisation d'un concours international de musique. La BMCI croit en son projet et le parraine. En trois éditions, ce concours se forge une réputation très respectable dans le monde. Les jeunes pianistes acceptent volontiers d'y concourir. Ceux qui y sont primés se voient récompensés dans des manifestations prestigieuses. Cette année, la Pologne a été présente massivement dans l'équipe qui veille sur la qualité de ce concours. Le directeur artistique du concours est polonais. Marian Rybicki parcourt depuis la première édition le monde en vue de détecter de jeunes virtuoses du piano. Le chef d'orchestre est également polonais. Miroslaw Jacek Blaszczyk a l'habitude des concertos pour piano. Et pour preuve, il dirige depuis 1999 l'orchestre du concours international de piano de Porto. Le troisième polonais, président du jury, est assurément le plus connu des trois. Il suffit de dire que Andrzej Jasinski préside le concours Chopin de Varsovie – sans doute la plus prestigieuse manifestation du genre dans le monde. Présents massivement sur le plan organisationnel, les Polonais n'a pas eu de candidat à la finale. Les trois finalistes, qui se sont produits devant une salle archi-comble et toute dévouée à la musique, viennent de la Russie, la Roumanie et l'Italie. Techniquement, ils sont tous d'un très bon niveau. Ce qui justifie dans ce cas le choix du meilleur lauréat, c'est l'infime touche personnelle dont il dote une partition. Il y a peu de mérite à jouer parfaitement un concerto sans y introduire un peu de soi-même. Le Premier prix du jury a récompensé un candidat qui a du tempérament. L'Italien Giuseppe Andaloro a interprété le concerto n° 2 pour piano de Franz Liszt d'une façon très virile. Pas de ces gestes gracieux, tortillements ou balancements langoureux pour montrer qu'il éprouve la moindre subtilité des notes qu'il joue. Dos impeccablement droit, cheveux courts, il pianote, déterminé à avoir le dernier mot dans son dialogue avec l'orchestre. Seuls quelques tics nerveux, qui se lisent sur son front et son cou, prouvent la tension de sa confrontation avec l'orchestre. Cette façon de jouer a conquis le public qui s'est également prononcé pour ce candidat. Ce concours est en effet unique dans le monde par le fait qu'il invite le public à prendre part à la désignation du vainqueur. Son vote était aussi important que celui du jury lors des deux premières éditions, puisqu'il constituait 50% de la valeur des notes attribuées aux candidats. Cette année, le prix du jury a été déparé de celui du public. La polémique qui a accompagné l'année dernière l'attribution du premier prix à un candidat chinois est à l'origine de la distinction entre les deux prix, selon Farid Bensaïd, président fondateur du concours international de musique du Maroc. Le deuxième prix du jury est revenu au candidat roumain Matei Varga. Au physique, il est aussi romantique que l'essence du concerto qu'il a interprété. Ses longs cheveux clairs se révoltent lorsqu'il s'emporte dans le jeu. Sa petite moustache fine était très en vogue à l'époque où Robert Schumann a composé le concerto pour piano en La mineur, op. 54. Ce Roumain a conquis bien des femmes dans la salle. Le Russe Alexander Kobrin a obtenu, quant à lui, le troisième prix pour son interprétation du concerto n° 2 de Chopin. Les trois concertos datent pratiquement de la même époque, mais ne présentent pas le même intérêt aux yeux du public. Et c'est là qu'interviennent des critères d'évaluation qui ne sont pas seulement liés à la virtuosité des instrumentistes. L'on n'éprouve pas le même plaisir à écouter le concerto de Schumann qui a quelque peu vieilli, comparativement à celui de Liszt qui garde toute sa vigueur. L'orchestre philharmonique du Maroc qui a accompagné les pianistes s'en est très bien sorti, en dépit de moments de distraction constatés chez certains instrumentistes. La direction de Miroslaw Jacek Blaszczyk a été irréprochable. Il n'a à aucun moment essayé d'étouffer le jeu des pianistes. Si ce concours continue de la sorte, il ne faudrait pas s'étonner de voir des maisons d'enregistrements proposer des contrats aux lauréats. Quant aux candidats marocains, il n'en existe pas encore de la qualité de ceux qui sont invités. Une manifestation de ce genre peut favoriser les vocations et inviter les jeunes à plus d'ardeur dans le travail. Tout le monde les attend.