Plus que pour son allié américain, le vote d'une seconde résolution aux Nations Unies permettrait au Premier ministre britannique de sauver la face devant la fronde grandissante au sein de son Parlement et de sa population. S'il y a dans le monde un dirigeant qui pourrait bien payer très cher son engagement sur le dossier irakien, c'est Tony Blair. Dans la pure tradition du ralliement systématique de son pays aux Etats-Unis, le Premier ministre britannique n'avait au départ pas montré la moindre hésitation : il fallait coûte que coûte délivrer le peuple irakien de son dangereux dictateur, qui continue de produire des armes de destruction massive et a des liens avec le terrorisme. C'était en novembre. Les positions franco-russes n'étaient alors pas aussi radicales, laissant entendre qu'une intervention militaire pourrait recevoir leur aval si elle avait celui de l'ONU. Plusieurs mois et quelques polémiques plus tard, Tony Blair se retrouve pourtant bien seul. Il y a d'abord eu ces prises de position contradictoires du gouvernement travailliste sur des questions purement européennes, notamment les modalités de l'élargissement de l'UE à 25 membres en 2004. Ce qui lui a valu une certaine mise à l'écart par rapport au duo montant formé par Paris et Berlin. Ont suivi les premiers vrais «couacs» des mêmes dirigeants sur la crise irakienne. Notamment «le mauvais plagiat de Londres» qui a présenté début février comme un rapport accablant sur l'état de l'armement irakien, une étude recopiée en grande partie sur une thèse universitaire datant de 1997! La polémique entre l'île et le vieux continent a été d'autant plus forte que ce faux document suivait de quelques jours une autre initiative anglaise : une lettre de soutien inconditionnel aux Etats-Unis, qui évoquaient déjà le déclenchement d'une guerre contre Bagdad sans l'aval de l'ONU. A cet «appel des Huit» se sont joints les chefs des gouvernements espagnol, José Maria Aznar, et italien, Silvio Berlusconi. Ces derniers, ainsi que les dirigeants de plusieurs pays de l'Est candidats à l'Union européenne, ont certes ébranlé la «vieille Europe» ridiculisée par les responsables américains. Ils ont aussi provoqué une crise interne, mais la position de Tony Blair, dont le pays est l'un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, a certainement été la plus douloureuse. La fracture est donc devenue inévitable entre Londres et son voisin, dont l'engagement anti-guerre a été présenté comme une «trahison» et une «honte» par les médias outre-Manche. Le 25ème sommet bilatéral organisé au Touquet, sur la côte nord-ouest de la France, le 4 février, a révélé l'ampleur de l'antagonisme entre les deux pays, Paris se concentrant dès lors sur son principal allié : l'Allemagne. La mobilisation internationale du 15 février, si elle a conforté le camp de la paix, a aussi marqué un tournant dans la politique de Tony Blair. L'opinion britannique, comme ses homologues du monde entier, a alors défilé en masse dans les rues pour dire «non» à toute intervention militaire. A cela s'est bientôt ajoutée la formation d'une «fronde» parlementaire non seulement par les Conservateurs mais aussi par le camp travailliste. Ni les uns ni les autres n'accepteraient que des soldats britanniques soient envoyés sur le front irakien sans le feu vert de l'ONU. Certains ministres ont menacé de démissionner, d'autres ont remis en cause la légitimité de leur leader qui continue de contredire sa population comme ses partenaires. La campagne de Tony Blair contre le régime irakien a pris dès lors des allures de lutte pour sa propre survie politique. C'est en ces termes qu'il faut d'ailleurs comprendre les efforts actuels que mènent les diplomates britanniques pour trouver un compromis et faire passer le projet de seconde résolution. Qui dit vote favorable, dit intervention militaire légale sur le plan international parce qu'approuvée par la majorité des membres de l'ONU. Depuis le début de la semaine, le Premier ministre doit cependant composer avec le veto annoncé de la France, soutenue par l'Allemagne en Europe, et celui de la Russie. Londres en a pris acte et a soumis mercredi aux membres du Conseil six conditions que devraient remplir le président irakien pour éviter une guerre. Elles exigent notamment que Saddam Hussein confesse à son pays qu'il a essayé de dissimuler des armes de destruction massive, mais qu'il a pris la décision stratégique d'y renoncer. Le camp de la paix est resté sceptique : «ces propositions ne répondent pas aux questions posées par la communauté internationale» a même déclaré jeudi le ministre français des Affaires étrangères Dominique de Villepin. Les Etats-Unis eux, ont encore répété qu'ils ne changeraient pas leur ultimatum fixé au 17 mars. Pire, le secrétaire d'Etat à la Défense, Donald Rumsfeld a reconnu mardi que son pays pourrait se passer des services britanniques si ces derniers se retiraient de la course. Désespérée, la Grande-Bretagne agace désormais autant ses adversaires que ses alliés, Washington refusant de stopper sa machine de guerre et Madrid renonçant à présenter une quelconque résolution. Tony Blair, lui, est aujourd'hui bien seul, certainement en train de se demander à quel moment. Est-ce qu'il a bien pu jouer la mauvaise carte?.