Pour ceux qui ont la chance de passer à Tanger avant le 31 août 2019, il est conseiller de ne pas manquer ce film incontournable, programmé à la cinémathèque. Les Casablancais et les Rbatis devront attendre une séance à l'Institut français. Une Palme d'or née d'une unanimité De Pedro Almodovar à Ken Loach en passant même par Terrence Malick, les prétendants à une légitime Palme d'or ne manquaient pas pour cette session 2019 du Festival de Cannes. C'est pourtant bien le Coréen Bong Joon-ho qui a reçu la distinction suprême lors de la clôture du festival le 25 mai 2019. Le jury a été unanime pour attribuer cette Palme, ce qui est assez rare pour être signalé. Qui est l'intrus ? L'affiche du film interpelle le spectateur «cherchez l'intrus», dans ce qui semble être une anodine photo de famille. Très vite, le bandeau noir bardant chaque visage questionne, avant de comprendre que l'intrus, le parasite, est, sans doute, ce corps, dont on distingue seulement les jambes, en bas à gauche. Rien n'est si simple car dans cette affiche, comme dans le film les apparences sont bien trompeuses. Ainsi, dans ce portrait de famille, ce sont deux familles qui sont inopportunément réunies. Cette photo n'a donc jamais existé mais le décor, lui, est vrai. Deux familles opposées mais liées Comme l'affiche, l'histoire est un Rubik's Cube, simple, en apparence, entremêlée de solutions, au fil des enchevêtrements. Que ceux qui détestent les casse-têtes se rassurent, le film est surtout un excellent divertissement, où les fous rires ne manqueront pas de fuser. Le début du film est bien dans cette veine avec la présentation de la famille Ki-Taek qui survit à Séoul uniquement par de petites combines, comme plier des boîtes à pizza pour gagner quelques billets. Malgré les efforts des parents et des deux enfants, cette famille mange rarement à sa faim et s'entasse dans un sous-sol d'immeuble, dont les vitres servent quotidiennement de pissotière aux alcoolos titubant dans ce cloaque. La séquence de la recherche du wifi gratuit est drôlissime et symptomatique des galères de ces deux jeunes déshérités. Une lueur arrive grâce à un ami du fils, Ki-Woo (Choi Woo-sik). Ce dernier arrive à se faire embaucher comme prof d'anglais chez les Park. Il remarque très vite que Mme Park (Cho Yeo-jeong) est «spéciale», une sorte d'ingénue snobinarde, très attachée aux apparences et, malgré tout, à sa famille. Par un jeu de dupes finement emboîté, toute la famille Ki-Taek parvient à se faire engager chez les Park, avec des diplômes et de CV bidonnés. Un thriller et une comédie Tout pourrait s'arrêter là, dans ce jeu de miroirs où les éclopés malodorants seraient les parasites, un peu loufoques, qui arrivent à berner les riches, trop confiants. Pourtant, ce n'est là que la trame de fond et le film devient rapidement un thriller haletant et, en même temps, une comédie irrésistible, où les jeux de portes sont dignes, à la fois, d'un Feydeau et d'un Hitchcock. En dire plus serait divulgâcher le film et enlever le goût des surprises et des rebondissements qui parsèment ce long-métrage. Une maîtrise technique ahurissante Le scénario est parfaitement ciselé et la maîtrise technique impressionnante. Ainsi le travail sur le cadrage est remarquable. Plusieurs photogrammes serviront à montrer la rigueur de la composition aux futurs photographes comme aux cinéastes. Les lignes, horizontales et verticales, sont bien signifiantes et il faudrait plusieurs visionnages pour percevoir toute la poésie de ce film. A ce titre, la séquence de camping du jeune Park dans le jardin et de ses parents dans le salon est incroyable puisqu'elle joue aussi avec la transparence et la lumière. Signalons aussi les travellings dans les deux maisons qui permettent de mettre en relief la lutte des classes de cette fable sociale, chabrolesque. Très vite, les mots de Alejandro Gonzalez Inarritu, président du jury de Cannes, résonnent comme une évidence : «Nous avons tous été fascinés par ce film, et cette fascination a continué à croître au fil des jours.» par Sébastien Chabaud