La guerre d'influence fait rage. Les communiqués croisés créent la confusion dans l'esprit des candidats à la construction du nouveau port de Tanger-Med. L'opinion publique est, quant à elle, ballottée entre des informations contradictoires qui vont finir par faire douter de la sincérité et de la transparence de l'appel d'offres. Bouygues, le favori de la rumeur, dément lui-même avoir gagné de peur que l'enthousiasme de ses supporters zélés ne lui porte finalement préjudice dans cette juteuse affaire. Grosses manœuvres autour du port Tanger-Méditerranée. Les soumissionnaires ( le Français Bouygues, l'Italien Societa Italiana Per Codotte et le Coréen Dae Woo) qui ont participé à l'appel d'offres concernant cette juteuse affaire connaîtront bientôt l'heureux adjudicataire. Cependant, avant même son attribution officielle, certains milieux, apparemment dans le secret des dieux, avancent déjà le nom du moins disant : Bouygues. Celui-ci aurait présenté une offre de 320 millions d'euros pour la construction de la première tranche du port en question. Dès la publication dans la presse de ce qui ressemble à une fuite savamment organisée, la direction de Bymaro (Bouygues Maroc), craignant probablement que ses défenseurs ne lui portent finalement préjudice, s'est empressée d'y apporter un «démenti» aux allures confirmatoires selon lequel le géant français des BTP arrive “en tête des soumissionnaires en lice pour le port Tanger-Med mais que les discussions avec le ministère de l'Équipement sont toujours en cours pour fixer les conditions et les modalités de travail“. En effet, l'attribution du marché, qui devait avoir lieu le 17 février dernier, a connu un peu de retard à cause justement de Bouygues pour avoir ajouté une variante à son offre de départ. De son côté, l'agence spéciale Tanger-Méditerranée, chargée du dossier du nouveau port, a rendu public un communiqué daté du 20 février 2003 où elle infirme lesdites informations. “ La commission d'évaluation des offres a entamé les études techniques de celles-ci et continue de le faire. À ce jour, aucun adjudicataire n'est encore désigné“. Ces communiqués contradictoires ressemble-t-elles à un jeu bien orchestré sur fond de pressions à seul fin de faire avaler d'avance la pilule Bouygues en installant comme gagnant de l'appel d'offres? «Bouygues est imbattable. Il est bien implanté au Maroc dont il connaît du reste les circuits et les procédures», reconnaît un entrepreneur marocain en BTP, une pointe d'amertume dans la voix. Notre interlocuteur ajoute cependant : “ Ce qui me chagrine le plus c'est que les opérateurs nationaux en matière de génie civil n'ont pas du tout été associés à la construction du port Tanger-Med. Je note simplement que les pouvoirs publics continuent à ne pas faire confiance aux Marocains et à leur savoir-faire“. Nul n'est prophète en son pays. Dans les milieux d'affaires, Bouygues comme adjudicataire du port de Oued R'Mel ne fait aucun doute. D'autant plus que ses deux concurrents, le groupe coréen et le candidat italien, ne semblent pas faire le poids. Voilà ce que nous a déclaré un connaisseur de la maison Bouygues : “Bouygues est une multinationale très structurée. Sa force réside moins dans l'ingéniering que dans le juridique. C'est ce qui lui permet de mitonner des offres en béton et de gagner de l'argent“. Compliment ou reproche? Toujours est-il que ce constat, quoique allusif, ne manque pas de sens. L'attribution, qui semble évidente à Bouygues du marché du port Tanger-Med, projet d'envergure très cher à S.M. Mohammed VI, n'est pas sans rappeler une autre réalisation grandiose qui fut non moins chère à feu S.M. Hassan II. Il s'agit de la Mosquée Hassan II à Casablanca où le savoir-faire du constructeur français a été mis à rude épreuve. Des négligences apparues dans l'ouvrage font craindre le pire, à savoir l'effondrement de cette grande bâtisse érigée sur pilotis. Scandale. Une commission technique dirigée par le ministère de l'Équipement et la wilaya du Grand Casablanca a établi un premier rapport à ce sujet. Les conclusions sont accablantes : des défaillances se sont fait jour dans les structures porteuses de la Mosquée, notamment dans les travaux de l'ouvrage exposé à la mer. Il ressort des investigations menées à cet effet que les spécifications techniques prévues dans le marché relatif à la construction de l'édifice religieux n'ont pas été respectées par Bouygues. Celui-ci a-t-il sous-estimé les conséquences pouvant découler dans un milieu marin agressif du non-respect des clauses clairement définies dans le marché en question ? Une chose est sûre : les bétons prévus devaient répondre à des contraintes de résistance et de perméabilité grâce à une étanchéité du béton garantie par des produits spécifiques dans toutes les parties de l'ouvrage tournées vers la mer. Ce qui n'a pas été fait. Résultat : les chlorures de l'eau de mer ont commencé à attaquer les aciers qui se sont corrodés. La houle, elle, n'a aucun effet sur la tenue de l'ouvrage. Ce qui a été vérifié par LPEE avec un modèle réduit en laboratoire. Les assureurs refusent de prendre en charge les frais de reprise des travaux, estimés à quelque 800 millions de DH, arguant que Bouygues a failli à son contrat pour ce qui concerne le phénomène de corrosion des aciers pourtant stipulé dans le cahier des charges. De là à accuser Bouygues d'incompétence technique, il n'y a qu'un pas que nombre de spécialistes et de responsables ont vite franchi… Question naturelle: gravement mis en cause dans le chantier de la Mosquée Hassan II, le géant français est-il qualifié, techniquement parlant et au-delà de toutes les autres considérations, à construire le port Tanger-Med ?