Salah Elouadie, militant des droits de l'Homme, ancien détenu d'opinion et dirigeant de la Gauche socialiste unifiée revisite son espace politique et idéologique. Entretien. ALM : A la veille des élections communales, nous avons constaté au niveau des médias, une confrontation entre l'USFP et le PJD, et une absence de l'opposition de droite et de la gauche radicale. Comment expliquez-vous ce fait? Salah El Ouadie : D'abord, votre question porte sur une période de changement par excellence, mais qui comporte plusieurs ambiguïtés. Que ce soit au niveau de la Monarchie, comme acteur politique, des formations partisanes issues du Mouvement national, ou des organisations de gauche, nous remarquons une grande prudence et parfois une certaine confusion en ce qui concerne les positions. Mais, nous constatons, récemment, que le débat s'est transformé en polémique et contradiction entre le discours politique religieux et le discours dit moderniste, défendu d'un point de vue partisan. Ce qui m'intrigue et m'inquiète, au niveau du discours politique religieux, c'est la progression de l'exploitation de la religion par le politique. Or, en étant un domaine de la foi, la religion se doit de rester loin des espaces de négoce et des intérêts. Chose qui va à l'encontre de l'acception moderne de l'action politique. En revanche, ce qui m'inquiète au niveau du discours moderniste, c'est son aspect hermétique qui prétend faire le monopole de la modernité, et ce alors que les potentialités de la modernité ne sont pas exclusives aux partis précités. Le challenge actuel porte sur l'émergence d'une voix appelant clairement à la modernité et à la démocratie et contre l'esprit politique monolithique. Jusqu'à présent, vous vous êtes limité au niveau du discours, mais qu'en est-il de la pratique ? Dans l'action, les modernistes, auxquelles vous faites allusion, sont absents. Il y a quelques jours, j'ai participé à une manifestation à Meknès, en signe de solidarité avec le peuple irakien, et j'ai remarqué la présence de toute la panoplie politique partisane. Je crois que l'handicap de l'action chez les forces modernistes se manifeste dans son système hermétique et son inconscience quant à la nécessité d'une ouverture réelle sur autrui. Il s'agit, donc, de forces éparpillées et diffuses, pour des raisons structurelles qui, en surdimensionnant leurs potentialités, relèguent au second plan la demande de la modernité. Nous traversons une étape qui se distingue par l'existence d'une gauche modérée au gouvernement, combattue par la gauche radicale. N'y a -t-il pas là un fait qui sert objectivement les forces conservatrices et rétrogrades ? Il faut nuancer les choses. Même au sein de la mouvance islamiste, il y a des courants qui acceptent les règles de l'action politique démocratique et ceux-là font à mon avis partie des forces de la modernité. En fait, les forces politiques appartenant à la gauche accusent un retard quant à la juste compréhension de la conjoncture historique. Leur lecture appartient au passé – par plusieurs aspects - et accuse généralement un grand retard par rapport à la dynamique en cours. Probablement, l'initiative récente d'unification de quatre courants au sein de la Gauche socialiste unifiée, constitue un pas dans le sens du redressement de cette situation, et ce alors que d'autres composantes de cet hémisphère, appartenant à l'ancienne équation, n'arrivent pas encore à surmonter la phase idéologique, en termes d'actions et de pratiques. Au niveau pratique, les deux défis majeurs de la gauche aujourd'hui sont ceux de son unité et de son efficacité, c'est à dire du crédit qui peut être le sien auprès du peuple. Quant au défit théorique, il est lié à sa capacité à ré-imaginer son rêve… Mais, on ne voit pas des points de convergence majeure, au sein de cette gauche. Les critiques les plus acerbes adressées, à titre d'exemple, à Driss Benzekri, depuis sa nomination au Secrétariat général du CCDH, ont été exprimées par cette gauche. D'abord, il y a lieu de rappeler les diverses réticences de la droite, qui existent par rapport à la nomination de Driss Benzekri au CCDH, et qui ne sont pas exprimées de manière audacieuse et directe. D'un autre côté, les critiques formulées à cet égard par certains éléments de la gauche radicale s'insèrent dans le cadre de la lecture idéologique que nous avons évoquée auparavant. Si une personnalité de la droite ou proche du palais avait accédé à ce poste, on aurait considéré ce fait normal et logique, mais du moment qu'il s'agit d'un ancien détenu, connu pour ses idées et sa lutte en faveur des droits de l'Homme et d'un ancien responsable du Forum justice et vérité qui n'a – de surcroît- rien renié de ses convictions, cette affaire a pris, pour ces lectures, une dimension réductrice du genre «makhzenisation», etc. C'est une question liée, par ailleurs, à l'évolution des forces politiques et des faits, plus qu'une simple affaire de recrutement amorcé par le pouvoir. L'histoire -comme le dit un certain Engels- est la résultante des différentes volontés. Ceci dit, je ne crois pas que ce genre de critiques a un avenir. Le Conseil consultatif des droits de l'Homme n'est pas une entité suspendue dans l'air, c'est une institution composée de personnalités indépendantes ainsi que de différentes formations politiques et associations humanitaires. Son avenir dépend désormais des actions qu'il entreprendra en rapport avec sa nouvelle configuration et ses nouvelles prérogatives. Et qu'en est-il de la gauche socialiste unifiée ? L'initiative d'unification de la gauche est une initiative audacieuse dans le sens propre du terme, et ce d'autant plus qu'elle rompt avec tous les comportements partisans qui l'ont précédés. L'équation est posée actuellement dans le sens du rassemblement des forces de gauche et de la création d'un large bloc démocratique moderniste à même de garantir la réussite de la transition démocratique au Maroc. C'est là une obligation de résultat. Conformément à cette évolution ou changement, pourrait-on parler d'une gauche monarchique? Tant que cette gauche, cette fédération des forces démocratiques, n'est pas menée à bien, la Monarchie ne pourra gouverner qu'avec les forces qui se présenteront et qui répondront présents à l'appel de l'Histoire, et celle-ci n'a jamais été édifiée par des forces imaginaires. La Monarchie peut incarner le respect d'une symbolique historique, en acceptant dans la même foulée l'instauration des règles d'un jeu politique répondant réellement aux exigences de l'idéal démocratique. C'est ce à quoi doivent s'atteler tous les démocrates et modernistes. Dans cette optique, et pour répondre à votre question, être monarchique ne sera pas un enjeu politique … Cette prédisposition à la cohabitation politique est -elle due à un changement de la situation globale du pays ou à une évolution relative à l'état d'esprit des militants ? L'évolution est à l'ordre du jour pour tous les acteurs politiques du pays, y compris pour la monarchie. C'est par l'intelligence des parties habitées par la conscience historique de l'intérêt général, que la confiance pourra être instaurée et que le pacte historique pourra être fait. Je ne suis pas fataliste. Aujourd'hui, ce pacte est possible. Mais, rater ce rendez-vous, n'est pas exclu de l'équation.