Après six semaines de tournage au Maroc, l'équipe du film « Alexander » d'Oliver Stone quitte le pays lundi prochain. Thomas Schühly, principal producteur d' « Alexander », s'explique sur les conditions du tournage. Sa passion pour Alexandre le Grand se double désormais de celle du Maroc. ALM : Quel bilan établissez-vous du tournage d'«Alexander»? Thomas Schühly : Tout s'est déroulé selon nos plans. Nous n'avons pas perdu une seule heure. Le temps a été clément. Et même les petites tempêtes de sable qui ont tourbillonné au-dessus de nos têtes ont été providentielles. Oliver Stone ne s'en est pas plaint. Bien au contraire, il a immédiatement modifié ses plans de travail pour les exploiter cinématographiquement. La couleur d'un ciel en colère ajoute un supplément d'émotion à la fougue des hommes, pendant les scènes de bataille. C'est comme si la nature se mettait à l'unisson avec leur colère. Et je peux d'emblée promettre aux spectateurs des effets de lumière fabuleux. Est-ce uniquement des scènes de bataille qui ont été tournées au Maroc ? D'autres séquences, extrêmement importantes dans le film et n'ayant aucun rapport avec le bruit des armes, ont été également tournées au Maroc. Le très important épisode de la rencontre du jeune Alexandre avec son cheval Bucéphale est filmé à Essaouira. Cette scène est capitale pour la compréhension de la psychologie du personnage et du grand destin que va lui prédire son père, le roi Philippe II. Elle est abondamment commentée dans « Vies parallèles des hommes illustres » de Plutarque. Un jour, on a emmené au père d'Alexandre un cheval absolument indomptable. Agacé par son aspect rebelle et rétif, le roi Philippe a demandé à ses écuyers de l'en débarrasser. Alexandre a alors fait le pari d'amadouer l'animal. Comme il avait observé que le cheval était effarouché par son ombre qui dansait devant lui, il l'a saisi par la bride de façon à tourner sa tête vers le soleil. Puis le caressant de la voix, il est parvenu à sauter sur son dos, et l'a lancé à bride abattue. Quand il est revenu, son père lui a dit : “Mon fils, cherche un royaume à ta taille : la Macédoine est trop petite pour toi”. Si je m'attarde sur scène, c'est parce qu'elle est fondamentale dans le film. À côté de la scène d'Alexandre avec Bucéphale, est-ce qu'il y en d'autres ? Oui, nous avons construit l'amphithéâtre où a été assassiné Philippe II. Suite à cet assassinat, Alexandre a été intronisé. En plus du couronnement d'Alexandre, nous avons également tourné la scène de son mariage dans les montagnes de l'Atlas. En somme, de très importantes séquences dans le film, montrant la diversité des paysages du Maroc, ont été tournées ici. En termes de semaines de tournage, le Maroc se taille la part du lion. Nous y avons passé six semaines. Il nous reste autant de semaines à écouler à Londres et 3 semaines de tournage en Thaïlande. Pouvez-vous nous chiffrer les dépenses en dollars de ces six semaines et parler des figurants marocains ? Je n'ai pas encore le chiffre exact de nos dépenses, mais je peux d'emblée assurer que nous avons dépensé au moins 25 millions de dollars au Maroc. Quant aux figurants marocains, je tiens à remercier le Royaume pour son aide d'une énorme générosité. J'adresse particulièrement mes remerciements au général Arroub qui nous a permis de travailler avec des militaires marocains. Deux à trois mille soldats marocains ont joué dans la grande bataille d'Alexandre contre le roi Darios. Si l'on additionne tous les jours de tournage dans lesquels les militaires marocains ont revêtu des costumes grecs, on atteint exactement 50 000 soldats. C'est énorme! Et l'équipe du tournage ne remerciera jamais assez les autorités marocaines pour cette aide très précieuse. Comment se sont comportés les militaires marocains durant le tournage ? Ils ont été extraordinaires, et je soupèse mes mots. Oliver Stone et moi-même avons réfléchi la bataille de façon à la conduire pas à pas. Toute la stratégie militaire élaborée par Alexandre le Grand a été minutieusement exploitée dans le film. Il faut se représenter ce qu'était la bataille d'Alexandre contre Darios. Avec une armée de 50 000 personnes, le Macédonien a réussi à défaire une gigantesque armée perse, forte de 500 000 hommes. À un contre dix, il était impossible de gagner une bataille en ce temps-là. Alexandre l'a gagnée grâce au système des phalanges. Les soldats qui composaient la phalange étaient armés d'un grand bouclier (pour se protéger des flèches et javelots de l'ennemi), d'une courte épée et surtout d'une lance, longue de 4 mètres. Ils se tenaient en rangs serrés et avançaient vers leurs ennemis en pointant leurs lances vers l'avant. Ils formaient des blocs homogènes qui décimaient les rangs ennemis. Ils constituaient l'équivalent des chars aujourd'hui. Ces phalanges représentaient le summum de l'art de la guerre à cette époque, et leur invincibilité explique en partie la marche glorieuse d'Alexandre. Il a fallu 200 ans, après la mort d'Alexandre, pour que les Romains trouvent la parade aux phalanges. En quoi est-ce que les phalanges sont instructives de la bonne tenue des soldats marocains ? Mais parce que la formation d'une phalange nécessite de se mouvoir d'une façon géométrique ! Il ne faut pas défaire les rangs ! Il faut avancer comme un seul homme ! Et c'est en cela que les soldats marocains ont été extraordinaires, parce qu'ils ont si bien assimilé le mécanisme de la formation d'une phalange que même Alexandre le Grand aurait été fier d'eux. Vous semblez très heureux de ces semaines de tournage ? Et je ne suis pas le seul. Oliver Stone est tombé amoureux des Marocains et de leur pays. Des acteurs très importants dans le film cherchent à acheter des maisons à Marrakech. Je dis bien acteurs importants, mais je ne veux pas révéler leur identité pour respecter leur souhait de discrétisation. Nous avons de surcroît été très agréablement surpris par la qualité des artisans marocains. Nous étions à mille lieues de s'imaginer que les costumes et les décors fabriqués ici allaient nous gratifier d'un tel savoir-faire. Je ne veux pas conclure sans adresser les remerciements de toute l'équipe à M. André Azoulay qui a été en quelque sorte le parrain du film. Il nous a fallu plusieurs permis pour les prises de vue, et les interventions de M. Azoulay nous ont été à chaque fois salutaires. En somme, l'enchantement de ces six semaines est tel que je suis persuadé que vous allez bientôt entendre parler du retour de bon nombre d'intervenants dans « Alexander » pour d'autres tournages au Maroc.