Les commentateurs et les analystes de pays voisins de l'Irak critiquent déjà le comportement des Américains et leur mode "d'imposition" de la démocratie. Le dépouillement des votes se poursuivait, hier lundi au lendemain des premières élections multipartites depuis 1953 auxquelles les Irakiens ont participé massivement en dépit des violences, un effort salué par toute la communauté internationale. Le Premier ministre irakien, Iyad Allaoui, a affirmé lundi que ces élections avaient constitué une "victoire majeure contre le terrorisme", lors d'une conférence de presse à Bagdad. Il a en outre annoncé que sept ressortissants étrangers avaient été arrêtés dimanche lors des attaques perpétrées contre des bureaux de vote en Irak, le jour des élections. Mais la réussite du premier scrutin multipartite de l'après -Saddam en Irak va reposer, avec plus d'insistance, la question des réformes politiques au Moyen-Orient. Des contre-feux ont déjà été allumés. Plusieurs journaux arabes ont exprimé leur suspicion à l'égard du taux de participation, qui, selon Bagdad, a dépassé les attentes. L'envoyé spécial du journal gouvernemental égyptien “Al Gomhouria”, citant des sources au sein de la Commission électorale irakienne, a affirmé que le taux de participation ne dépasserait pas 50 à 55 % des inscrits, laissant planer ainsi un doute sur la légitimité du nouveau pouvoir irakien. Sur la question de l'après - élections, des analystes égyptiens s'interrogent sur la nature de la démocratie que les Etats-Unis veulent "imposer" à l'Irak et, au-delà de ce pays, à toute la région, dans le cadre de leur projet de "Grand Moyen-Orient". Mohammed Nour Farhat, professeur de droit à l'Université du Caire, estime que "même si l'on convient qu'un programme démocratique est en cours en Irak, le comportement américain suggère qu'il sera réalisé au détriment de l'arabité de l'Irak, de son identité nationale et de ses intérêts nationaux". "Tous les opprimés de l'ère Saddam ne posent pas leurs revendications sur un plan politique, mais en référence à leur communauté, or le communautarisme est la chose la plus détestable en politique", regrette ce politologue. M. Nour Farhat se demande aussi "s'il n'y a pas eu une entente, au moins partielle, entre les Etats-Unis et l'Iran", les élections en Irak favorisant les chiites irakiens. Il souligne qu' "à chaque fois que les Etats-Unis constatent un conflit entre leurs intérêts et la démocratie, ils font passer leurs intérêts avant la démocratie". Le thème de la crainte d'une hégémonie de l'Iran sur l'Irak et l'ensemble des pays du Golfe, riches en pétrole, est depuis plusieurs semaines largement exploité par la presse et les analystes arabes, qui ont parlé, à plusieurs reprises, de "connivence" entre l'Iran et les Etats-Unis sur l'Irak. Le quotidien égyptien “Nahdat Misr” a enfoncé le clou lundi en titrant "La victoire de Sistani", la grande référence chiite irakienne, allié au clergé iranien. "Alors que le monde est préoccupé par des problèmes globaux, les Etats-Unis n'ont plus qu'une unique préoccupation : ce qu'ils appellent la démocratie", relève le quotidien égyptien “Al Akhbar”, commentant la déclaration du président George W. Bush sur l'Irak. "La démocratie américaine est un produit avarié que les Etats-Unis tentent d'écouler dans le monde au service de leurs intérêts de domination, d'oppression et d'obscurantisme", ajoute le commentateur anonyme, dans la rubrique quotidienne "Propos du jour". Sur la question de l'avancée démocratique dans la région, le Premier ministre égyptien, Ahmad Nazif, a déclaré récemment devant la presse étrangère que le "peuple égyptien n'accorde pas la priorité aux réformes politiques", mais aux réformes économiques. Le président Hosni Moubarak, dans un entretien avec les patrons de la presse égyptienne, a de nouveau rejeté les revendications de l'opposition en faveur d'un amendement de la Constitution, afin de permettre l'élection du chef de l'Etat au suffrage universel direct. "Je ne prendrai pas l'initiative d'un acte qui serait un point noir dans l'histoire de l'Egypte", leur a-t-il dit samedi dans l'avion qui le conduisait au sommet africain d'Abuja.