A la veille de l'ouverture du sommet européen de Copenhague sur l'élargissement de l'UE, le leader du Parti islamiste turc Erdogan est allé chercher mardi le soutien de Washington. Mission accomplie. «Nous nous tenons à vos côtés dans votre désir de devenir membre de l'Union européenne», a assuré mardi le président américain lors de son entrevue avec le chef de file de l'AKP. Après avoir mené campagne ces dernières semaines dans la quasi-totalité des chancelleries européennes, Recep Tayyip Erdogan a fait ce jour-là un déplacement stratégique à Washington. Son objectif : chercher, outre quelques promesses économiques, un précieux appui américain pour l'entrée de son pays dans l'UE. Sa candidature, officialisée en 1999, en est en effet toujours au point mort, les Quinze étant de plus en plus réticents à accueillir un pays qui n'a pas encore atteint le niveau de réformes politiques et économiques escomptées. Pire, ces dernières semaines, sa «nature» européenne même a été remise en cause par plusieurs responsables du continent, notamment l'ex-président français et actuel dirigeant de la Convention sur l'avenir de l'Europe, Valéry Giscard d'Estaing. Il fallait donc au nouvel exécutif turc, sorti vainqueur des législatives anticipées du 3 novembre, chercher un allié de taille dans sa bataille. Et faire vite puisque les Quinze doivent se prononcer sur le cas d'Ankara lors du sommet des chefs d'Etat et de gouvernement qui se tient ces jeudi et vendredi dans la capitale danoise. «Nous apprécions votre amitié dans le cadre de l'OTAN», dont la Turquie est membre, a affirmé mardi le président américain. Et d'ajouter que «vous (les Turcs) êtes un partenaire et un allié stratégique des Etats-Unis et nous sommes impatients de collaborer avec vous pour préserver la paix». Washington n'ayant jamais caché qu'il voulait utiliser les bases militaires turques en cas d'intervention militaire contre l'Irak... Après son entretien avec le président Bush, M. Erdogan devait d'ailleurs rencontrer le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld et le secrétaire d'Etat Colin Powell. L'Administration américaine craint par ailleurs que la Turquie ne se tourne vers d'autres options moins plaisantes à ses yeux, en cas d'échec à Copenhague. Les Turcs avaient eux-mêmes averti lundi qu'ils pouvaient «simplement changer de direction». «Nous avons d'autres solutions», avait alors indiqué Cuneyd Zapsu, conseiller de M. Erdogan pour les Affaires étrangères. Comme se rapprocher du monde musulman, alors que Washington souhaite garder une alliée stable et fidèle dans une région à haut risque, avec les Balkans à l'ouest, l'Iran et le Caucase à l'est, et enfin la Syrie et l'Irak au sud ! Conscient de l'importance stratégique de son pays, Tayyip Erdogan savait d'ailleurs avant même son arrivée dans les salons de la Maison-Blanche qu'il ne pouvait pas repartir bredouille de cette visite, laquelle ne pouvait pas non plus passer inaperçue aux yeux des Européens. Cette démarche est cependant périlleuse au moment où les Quinze supportent de moins en moins les intrusions «hégémoniques» américaines dans ses affaires. Si des pays comme le Portugal, la Grande-Bretagne ou l'Italie plaident actuellement pour la proclamation d'une date d'ouverture des négociations d'adhésion de la Turquie, une fois encore le bloc franco-allemand pèse de son poids sur les décisions de l'UE. Paris et Berlin ont en effet proposé de confirmer à Copenhague la vocation européenne de la Turquie, mais les deux partenaires souhaitent ne pas fixer de rendez-vous avant décembre 2004. C'est à ce moment-là seulement que la Commission européenne devra évaluer le pays et l'avancée de ses réformes. Si ce bilan est positif, les négociations pourraient commencer le 1er juillet 2005. Soit un an après que les dix autres candidats aient fait leur entrée dans une Europe élargie à 25 membres. Ankara ne pouvait que juger ce projet insuffisant. «Lors de nos dernières séances de discussions nous devrons parler à nouveau avec les Allemands, les Français et la présidence. C'est inacceptable» avait indiqué vendredi dernier le leader de l'AKP. Selon lui, il est aussi de l'intérêt de l'Union d'ouvrir la porte à un pays de 65 millions d'habitants quasi-totalement musulmans pour y consolider l'«islamo-démocratie» au lieu de se l'aliéner dangereusement. En cas de refus, Ankara pourra-t-elle faire preuve de patience alors qu'elle mise encore sur une ouverture des discussions en 2003 ? Tayyip Erdogan a déjà répondu mercredi que son pays pourrait rejoindre la zone de libre-échange de l'Amérique du Nord (ALENA) si son entrée à l'UE était compromise...