Mohamed Laghdaf Rhaouti, président du Conseil de l'Ordre des Pharmaciens, estime que l'accord de libre-échange avec les Etats-Unis aura des conséquences négatives sur l'industrie pharmaceutique et les citoyens. ALM : Pensez-vous que l'accord de libre-échange signé avec les Etats-Unis aura un impact négatif sur le Maroc, en matières pharmaceutiques? Mohamed Laghdaf Rhaouti : Tout d'abord, je souhaite faire un petit rappel historique nécessaire. Les Etats-Unis ont entamé des négociations pour la conclusion d'accords de libre-échange avec plusieurs pays, à la suite des échecs qu'ils ont essuyés à l'OMC. Sous la pression des puissants lobbies pharmaceutiques américains, Washington avait tenté de faire passer, surtout à Doha en 2001, des mesures ayant trait notamment au brevet. Mais grâce à une opposition menée, à l'époque, par le Mexique et l'Afrique du Sud, les Etats-Unis n'ont pas réussi à atteindre leur but. Ces deux pays, je vous le rappelle, possèdent des industries pharmaceutiques très performantes, essentiellement en médicaments génériques. C'est donc après les revers qu'ils ont subis à l'échelle planétaire, que les Etats-Unis se sont rabattus sur des pays comme le Maroc et la Jordanie. Alors que les règles de l'OMC disent que la protection des brevets ne peut dépasser 20 ans, l'accord de libre-échange avec le Maroc prévoit une protection de 20 ans au moins. Cette protection peut même atteindre 29 ans et demi. Que gagnent les industries pharmaceutiques dans un marché comme celui du Maroc? Je vous donnerais un seul chiffre. Pour un seul médicament destiné à soigner le cholestérol, les industries pharmaceutiques américaines gagnent annuellement 11 milliards de dollars. Et le Maroc consomme chaque année l'équivalent 450 millions de dollars de médicaments. Ça fait 170 DH par marocain et par an. C'est dérisoire. Et si, en plus, on hausse les prix, la majorité des Marocains n'auront jamais accès au médicaments. Vous voulez dire que l'impact de cet ALE sera négatif? Absolument. Les citoyens seront les premiers lésés car l'accès au médicament générique, qui est nettement moins cher, sera retardé. Aussi, le médicament importé des Etats-Unis sera également vendu cher. L'ALE est également une entrave au projet de l'AMO. Car, comme vous le savez, la maîtrise des dépenses surtout en ce qui concerne les médicaments, est une condition de la viabilité de l'assurance maladie obligatoire. Qu'en est-il des industries pharmaceutiques marocaines? Elles vont subir d'énormes préjudices. Ces industries sont parmi les plus performantes du pays. Elles produisent 80% des médicaments nécessaires au marché marocain. Elle exporte également 10% de sa production, notamment vers l'Europe. L'industrie pharmaceutique marocaine emploie pas moins de 30.000 personnes, dont 20% sont des cadres.En d'autres termes, l'ALE avec les Etats-Unis va couser la perte de cette industrie, fleuron de notre économie. Mais n'y a t-il pas un moyen de contrecarrer les dispositions de l'ALE par des mécanismes de l'OMC? Oui, c'est possible. Certains lobbies sont en train de s'activer au niveau de l'OMC et même à l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pour atténuer les impacts négatifs des ALE signés par les Etats-Unis. En fait, plusieurs voix dans le monde se lèvent pour dire que la propriété intellectuelle ne devrait pas concerner les médicaments. Ce n'est pas un produit comme les autres.