Suite au dossier paru dans ALM n°793 du 15 décembre 2004 intitulé "Faut-il dissoudre le ministère de la Pêche?", nous avons reçu une contribution de la part d'un "Collectif d'administrateurs des affaires maritimes" qui se veut une manière d'engager le débat sur le devenir d'un secteur stratégique en proie à de nombreux problèmes. La question « Faut-il dissoudre le ministère des Pêches maritimes ? » paru dans « Aujourd'hui Le Maroc » en date du 15 décembre 2004, pose la problématique du devenir de ce département uniquement en termes de régulation de l'accès à la ressource halieutique nationale et ignore les autres volets qui constituent le socle identitaire de l'administration maritime. Votre question a toutefois le mérite d'ouvrir un débat sur la gestion du secteur maritime et sur le devenir de ses structures. La vision qui est proposée comme solution, n'est-elle pas à l'origine des problèmes d'un département en perte d'identité, puisqu'elle réduit le rôle de toute une administration publique à un simple outil de répartition des quotas de pêche concernant vraisemblablement la seule espèce : le poulpe. Une telle suggestion serait l'aboutissement ultime d'un processus longtemps amorcé par les pouvoirs publics, sans en peser les conséquences et qui s'est démarqué de la vision intégrée du secteur maritime national. Ce processus n'est-il pas le fruit de décisions qui sont en train de mener notre pays à tourner le dos à la mer. En effet, c'est à compter de 1992 que l'on a préparé l'affaiblissement de ce secteur qui s'est soldé en 1997, par la séparation en deux, mais peu convaincante du «ministère des Pêches maritimes et de la Marine marchande » en administration des pêches maritimes d'une part et administration de la marine marchande d'autre part, chacune rattachée à un département ministériel distinct. Cette décision a mis un terme à une longue tradition de gestion publique unifiée et cohérente des questions liées au secteur maritime en général, y compris la composante pêche. Une gestion caractérisée par une administration harmonieuse de la flotte maritime (commerce, pêche, servitude, plaisance…), des espaces marins, des gens de mer, de la sécurité des hommes et des navires, du sauvetage des vies humaines en mer, de la protection du milieu marin, et de l'activité économique du secteur maritime dans son ensemble. Imaginez deux service délivrant chacun des permis de conduire selon l'usage du véhicule, ou deux conservations foncières selon l'affectation du terrain ou de l'immeuble, ou deux administrations pour les cartes nationales. Il est certain qu'avec une telle duplication, on ne peut que se diriger vers une déperdition des énergies et vers une gestion partielle et peu efficiente de domaines difficilement séparables, au moment où une administration maritime forte de ses potentialités économiques et de ses ressources, devrait se caractériser par l'efficacité, la continuité, la rigueur et la crédibilité, pour contribuer au développement durable de notre pays. Mais pire encore et comme vous l'avez justement souligné, un secteur aussi stratégique a connu en 6 années seulement, une valse de ministres au nombre de 5 avec des politiques diamétralement opposées, chacun s'appuyant sur ses alliances dans le secteur, affaiblissant davantage notre administration tant au niveau central que régional, en laissant souvent la prise de décision face à des problèmes par nature complexes, à d'autres instances plus influentes ou abdiquant carrément devant des intérêts contradictoires voire partisans. Vous avez bien mis en exergue le bilan des ministres successifs sur la ressource halieutique, mais faut-il souligner que ces mêmes ministres ont ignoré ou omis à bon escient de s'intéresser à l'outil de travail et aux structures de leur administration tant au niveau central qu'au niveau des services extérieurs, piégés par l'urgence de faire face à l'exacerbation des difficultés de la seule pêcherie du poulpe. Mais c'est administrer des calmants pour une rage de dent. Un moment de répit et voilà la douleur qui recommence de plus belle. Cette situation a été aggravée soit par le parachutage de cadres sans compétence dans le secteur, soit par la sanction des compétences existantes. Même ceux que cette même administration a formés à l'étranger pour la gestion spécifique du secteur maritime, se voyaient écartés, le tout entraînant une démotivation générale. Avons-nous jamais eu écho d'un cadre interne promu à un poste de responsabilité au moment où l'on reconnaît aux cadres de ce département bien de mérites et de valeurs chez d'autres administrations ou organismes bien connus au niveau national et international. Par ailleurs, aucune politique de régulation ne peut réussir sans un dispositif de contrôle efficace de l'accès à la ressource en amont et pendant l'exercice de l'activité de la pêche en aval. Confier cette tâche à une autorité autre que celle qui veille sur la connaissance continue des ressources et qui met en place les plans d'aménagement des pêcheries, c'est se diriger vers la faillite de notre patrimoine halieutique. N'est-ce pas ce que nous vivons actuellement, puisque en quelques années l'effort de pêche s'est considérablement développé, malgré un gel des investissements pour l'accès à la ressource décrété officiellement depuis 1992. N'est-on pas en droit de se demander comment ? La gestion par la régulation ne pourra jamais répondre à cette interrogation. Aussi, comment peut-on admettre de dissocier la ressource d'une gestion intégrant la flotte de pêche, dont le tonnage et la puissance influent considérablement sur l'effort de pêche ? On voit bien que ce n'est pas uniquement une affaire de quota, puisque la régulation ne peut intéresser que les stocks halieutiques seulement, mais elle se doit également de prendre en considération les outils de production. Sans une gestion équilibrée de ces deux composantes, c'est aller droit à des problèmes sociaux insurmontables, car l'emploi direct dans ce secteur est intimement lié à la production, certes, mais également au nombre et types de navires autorisés à pêcher et aux unités de transformation et de valorisation. Une gestion basée exclusivement sur la régulation, c'est aussi ignorer l'élément humain et l'apport de la formation et du perfectionnement des marins dans l'activité de pêche. Il est impossible de concevoir la réussite d'une mesure d'aménagement visant l'orientation, ou le redéploiement vers d'autres pêcheries par exemple, sans que les techniques d'exploitation, de conservation et de sauvegarde de ces espèces ne soient maîtrisées par ceux qui les pêchent : les marins. Qui assurera cette tâche si ce n'est une administration qui a en charge le développement du secteur dans sa globalité, se souciant à la fois de la ressource et de l'élément humain. Il est aussi utile de rappeler que toute mesure de régulation ne peut qu'avoir des répercussions sur le secteur des pêches en aval et toucher de plein fouet toutes les activités annexes au secteur notamment les industries navales, de traitement et de valorisation des produits de la mer et ceux liées à la commercialisation des produits, qui sont des facteurs clés de la croissance économique, car ils constituent faut-il le rappeler, le fondement même de la structure de l'industrie halieutique nationale. Sur un autre registre, la politique de promotion de pôles de développement socio-économiques à travers les villages de pêcheurs et les points de débarquement aménagés initiée depuis 1990, est un exemple éloquent qui atteste de la pertinence de la vision d'une gestion intégrée du secteur des pêches maritimes, qu'une simple politique de régulation aurait entièrement négligé. La signature récemment d'une convention sur le financement et l'exécution d'un programme de mise à niveau des sites de pêche dans la province de Oued Eddahab et bien avant d'une autre convention concernant la région de Sakia El Hamra, entre l'Agence de développement des provinces du Sud et ses partenaires dans ce projet, s'inscrit dans cette démarche globale et mobilisatrice. Aussi se pose la question du positionnement de l'aquaculture en dehors d'une approche intégrée, dans la mesure où cette branche d'activité focalise l'attention des pouvoirs publics pour en faire un vrai levier de développement. On ne peut concevoir la promotion de cette activité en dehors d'une politique d'aménagement globale, se souciant à la fois de l'aménagement de la ressource, du littoral et de l'environnement. Dans ce contexte, faut-il rappeler que les politiques de gestion de la ressource halieutique tentées à travers le monde et basées uniquement sur la simple régulation biologique, ont montré leur incapacité à résoudre la problématique du développement du secteur sans sa composante économique et sociale, ce qui a souvent mené à de profondes crises sans solution. Notre problème aujourd'hui continue à persister voire à s'aggraver, puisqu'à chaque mise en place d'un gouvernement, le secteur maritime fait l'objet d'un découpage sur mesure pour satisfaire, quand ce n'est pas des appétits politiques, c'est des ajustements d'ordre technique et institutionnel. Un bref retour à l'histoire récente et vous constaterez que les heures de gloire de ce secteur ont été celles de la période 1982 à 1995, lorsque le maritime était sous la tutelle d'un seul département ministériel : le ministère des Pêches maritimes et de la Marine marchande. Avant cette date et après, c'est la dérive, sans jamais que les pouvoirs publics se fixent une fois pour toutes sur l'instance compétente pour gérer ce secteur. Si l'on continue sur cette voie, pourquoi ne pas envisager de mettre cette activité sous la coupe du ministère chargé de l'Artisanat, puisque l'une des composantes essentielles de notre économie halieutique est la pêche artisanale et bien d'autres activités annexes où exercent des ouvriers artisans ! L'approche économique du secteur a également profondément influencé la décision de confier la marine marchande aux transports et la pêche à l'agriculture. Mais compte tenu de ce qui a été développé plus haut, un secteur aussi stratégique devrait-il être confiné dans une telle approche étriquée. Bien des stratèges de chez nous, invoqueront pour défendre cette vision, l'exemple d'un certain nombre de pays ayant adopté la même démarche en apparence, sans prendre la peine d'en faire le bilan, ni de connaître les raisons ayant motivé cette approche ainsi que la manière avec laquelle elle a été conduite et ce afin de tenter une expérience marocaine efficiente, salvatrice et adaptée à notre réalité. En effet, les pays européens par exemple, n'ont jamais dédaigné de conserver le noyau dur de l'administration maritime au niveau d'une seule structure afin de sauvegarder une gestion homogène non fragmentée des attributions régaliennes de l'Etat dans le domaine maritime (navire-gens de mer-milieu marin) une trilogie bien consacrée par les visionnaires qui ont rédigé le code de commerce maritime marocain de 1919 et qui n'a cessé depuis de servir de référence à de nombreux pays y compris les puissances maritimes. Alors, la solution réside-t-elle dans la dissolution du département des pêches maritimes et la création d'une agence de régulation de l'exploitation de la ressource ? Autant dissoudre le département si celui-ci continue dans la même déroute qui dévie de la perception homogène, spécifique et intégrée du secteur maritime, seule capable de préserver les intérêts stratégiques liés aux aspects de gestion de la ressource halieutique, de sécurité, d'impact diplomatique (accords de pêche-frontières maritimes-haute mer-diplomatie « halieutique »…) et aux différentes questions socio-économiques liées au secteur. Loin d'être nihilistes, nous proposons la sauvegarde des acquis incontournables par des ajustements qui fusionnent les aspects de gestion maritime communs à la marine marchande et aux pêches maritimes au sein d'une institution forte par sa mission et clairement structurée, en mesure d'asseoir une politique moderne et cohérente du développement de toutes les composantes du secteur maritime national. La réussite d'une telle institution reste tributaire de la réhabilitation des corps et métiers qui constituent les meilleurs relais de l'Etat pour assurer cette mission particulière, notamment par le moyen d'une formation maritime adaptée et par la revalorisation des personnels techniques d'encadrement et d'intervention sur le terrain, seuls compétents et qualifiés pour gérer un secteur aussi spécifique que le maritime. • Collectif d'administrateurs des affaires maritimes