En plus des traditionnelles questions sociales et revendications propres aux syndicats, le gouvernement et les syndicats ouvriront bientôt ce dossier fort épineux qu'est la loi organique relative au droit de grève. On retiendra longtemps du gouvernement El Othmani que c'est la première fois dans l'histoire du Maroc qu'un dirigeant syndical devient ministre de l'emploi. Au-delà du caractère insolite de la nomination de Mohamed Yatime, ancien patron de l'UNTM (bras syndical du PJD), comme ministre de l'emploi et de l'insertion professionnelle, cela pourrait être un catalyseur pour la relance du dialogue social. Cependant, la nomination du patron d'un syndicat qui a soutenu aveuglément le gouvernement sortant, parfois seul allant à l'encontre de ses confrères de toutes les autres centrales, ne prête certainement pas à tant d'optimisme. Si, a priori, certains de ses confrères acceptent le geste, il n'en reste pas moins qu'ils demandent, d'abord, à voir des résultats avant de juger. «Nous l'avons rencontré, il a montré des signes de bonne foi», affirme Mohammed El Ouafi, secrétaire national de l'UMT. Le ministre a en effet reçu, il y a quelques jours, les centrales syndicales les plus représentatives. Cette première prise de contact intervient à la veille d'une autre rencontre des syndicats, également de manière individuelle, mais, cette fois, avec le chef de gouvernement. Ces entretiens ont lieu lundi et mardi, affirme le ministre, sans plus de détails. Bref, ce sera également une prise de contact, puisqu'aucun ordre du jour n'a été fixé. Mais, que se sont dits les syndicats et le nouveau ministre ? «Nous avons insisté sur le fait que les choses ne peuvent s'arranger que par le dialogue, la négociation et la concertation. Nous avons rappelé au ministre que bien que le chef de gouvernement ait des priorités, la question sociale doit également figurer parmi les priorités. Le dialogue doit rester le moyen primordial pour retrouver la paix sociale. Nous sommes conscients que la situation est difficile, mais elle l'est pour tout le monde», confie Mohammed El Ouafi. Si ce n'est pas une déclaration de trêve sociale, elle s'en approche du moins, surtout venant de l'UMT qui, rappelons-le, a contracté une alliance stratégique avec la CDT. Cela étant, traditionnellement, les syndicats accordent une trêve au social au gouvernement pendant ses cent premiers jours. Ce qui explique un peu cette réaction. Cela dit, peut-on pour autant s'attendre à un changement d'approche dans les rapports du gouvernement, représenté par Mohamed Yatime, avec les syndicats ? Abdelhamid Fatihi, secrétaire général de la FDT, reste confiant. «Assurément, il y aura un changement de méthode», affirme-t-il. «Le ministre était un dirigeant syndical pendant plus de 10 ans. Il est parfaitement au fait de la manière de gérer les dossiers sociaux et les revendications syndicales. Il connaît tous les dossiers. C'est donc non seulement le plus à même de comprendre les attentes des syndicats, mais également le mieux qualifié pour traiter avec les dirigeants syndicaux», insiste-t-il. «Cela dit, ajoute le patron de la FDT, il faut prendre également en compte les contraintes de son nouveau poste et du gouvernement en général». De même, il est tout aussi à craindre que le ministre utilise son expérience de dirigeant syndical pour démonter les arguments des syndicats et rejeter leur cahier revendicatif. En ce sens, explique Mohammed El Ouafi, «il n'y a pas de règles générales. Il y a des responsables gouvernementaux qui font usage de leur expérience et de leurs connaissances du milieux syndical pour trouver des solutions innovantes et arriver à une paix sociale durable, comme il y en a qui puisent dans leur expérience de syndicalistes des outils pour mieux contrer les syndicats. Nous espérons que Mohamed Yatime fasse partie de la première catégorie. Nous espérons qu'il utilise son expérience d'ancien dirigeant syndical pour résoudre les problèmes et non pour compliquer davantage la question sociale». Les syndicats pourraient-ils revoir leur cahier revendicatif? En tout cas, estime Abdelhamid Fatihi, «la reprise du dialogue social sera certainement plus à l'aise. Cela grâce notamment à la personnalité du nouveau chef de gouvernement, connu pour son approche consensuelle. De même que la démarche qu'il vient d'adopter nous inspire confiance». Ainsi, observe ce dirigeant syndical, le chef de gouvernement n'a pas hésité à rencontrer le chef de file de l'opposition, le PAM en l'occurrence, avant et après la formation du gouvernement. «C'est un signe positif. Sa décision de rencontrer les responsables syndicaux est également un élément encourageant. Cependant, je le dis encore une fois, tout cela est bien, mais attendons de voir les résultats. Assurons-nous d'abord que le gouvernement fasse montre d'une volonté de réagir favorablement à certaines de nos revendications». Se montrant tout aussi prudent, le responsable de l'UMT exige également du «concret» avant de trancher sa position. «Nous attendons ses actes pour pouvoir juger. Nous pensons toutefois que le fait que le ministre ait cherché à nous rencontrer au début de son mandat et que le chef de gouvernement insiste, lui aussi, pour nous rencontrer est un signe positif de la reprise du dialogue social sous d'autres conditions, en tout cas pour faire mieux que le gouvernement précédent». A l'UMT, on pense également que le fait que le parti du chef de gouvernement gère également le portefeuille des droits de l'Homme pourrait être mis à profit pour avancer sur le dossier des libertés syndicales. Une chose est sûre, l'expérience que nous avons vécue sous le gouvernement sortant montre que si chacune des deux parties campe sur ses positions, nous n'arriverons nulle part. Aussi, faudrait-il, peut-être également, que les syndicats revoient, eux aussi, un peu leur cahier revendicatif. En tout cas, il faudrait y aller de manière plus modérée, comme le laisse entendre le responsable de la FDT. Les syndicats doivent, eux aussi, faire montre de bonne foi et relativiser quelque peu leurs revendications. Il semble donc qu'il faudrait beaucoup de bonne foi pour aborder les rapports futurs entre les deux parties. Car, en plus des traditionnelles questions sociales et revendications propres aux syndicats, le gouvernement et les syndicats ouvriront bientôt ce dossier fort épineux qu'est la loi organique relative au droit de grève et, parce qu'il faut bien y arriver un jour, la loi organique des syndicats.