Sujet tabou car délicat, les budgets parallèles des ministères, alimentés par des circuits de financement souvent détournés, échappent à tout contrôle du fisc. Voyage au bout du gouvernement des largesses et des privilèges. Avis de recrutement des “cabinards“. C'est le moment pour ceux qui veulent rejoindre les ministères d'offrir leurs services comme conseillers ou chef de cabinet du ministre. Le marché est ouvert. N'hésitez pas à “vendre“ votre savoir-faire. Avec un petit coup de piston, vous avez la chance de vivre une nouvelle expérience au cœur des rouages de l'exécutif. Payé sur le budget des Finances, le cabinard, considéré comme un contractuel, a cependant un numéro de som. Un ministre “plein“ a droit au recrutement de 5 conseillers (ils étaient au nombre de 8 avant l'avènement du gouvernement d'alternance). La DRPP (direction de rémunération et de paiement des pensions, ex-Som), n'exigeant de la recrue ni curriculum vitae ni références particulières, le ministre peut engager n'importe qui. Même son chauffeur. La fiche de paie d'un cabinard de base fournée 1998-2002 indique un salaire mensuel net de 10.500 dhs. Avec les indemnités de déplacements, fictifs ou réels, payés cette fois-ci par la régie du ministère concerné, le conseiller peut améliorer son revenu d'un maximum de 2500 Dhs par mois. En fait, un membre du cabinet du ministre est rétribué en fonction de son degré de débrouillardise de l'intéressé, de la qualité de la relation qu'il entretient avec son employeur et surtout de sa propension naturelle à la courtisanerie. Bienvenue dans le monde de l'informel. Tissés par la toile des primes et autres avantages, les budgets parallèles des ministères, sujet tabou du fait de son opacité, échappent à tout contrôle du fisc. Dès qu'il s'agit de ces fonds spéciaux ou plutôt souterrains, les langues ne se délient pas. Motus et bouche cousue. En prenant ses nouvelles fonctions de Premier ministre en mars 1998, Abderrahmane Youssoufi a sursauté, n'en croyant pas ses yeux en prenant connaissance d'un décret très particulier qui lui donne droit en tant que chef du gouvernement, à une prime annuelle de 10 millions de DH (!) prélevée sur les “ fonds spéciaux“ de la primature dont le montant est entouré du plus grand secret. Homme à la moralité irréprochable, M. Youssoufi a annulé immédiatement cette prime mirifique, que ses prédécesseurs ont certainement touchée, par un nouveau décret. Si ce n'est pas de l'enrichissement indu, cela y ressemble beaucoup. Le geste très symbolique de l'ex-Premier ministre, qui montre son souci de rationalisation des fonds de l'État, avait-il servi d'exemple pour les autres membres du gouvernement ? À ce que l'on sache, l'argentier du Royaume, Fathallah Oualalou, a reconduit les primes de masse instituées par une loi du protectorat datant de 1906. Une loi qui permettait au ministre de tutelle, aux directeurs de l'administration des douanes, des impôts, de l'office des Changes et autres directeurs centraux d'arrondir leurs fins de mois compte tenu du caractère dérisoire de leur traitement mensuel. Cette manne, qui se chiffre aujourd'hui à plusieurs millions de Dh, continue toujours à être partagée comme un gâteau délicieux par les pontes de ce ministère. Résultat : un simple directeur au sein de ce département se retrouve avec un revenu égal et parfois supérieur à celui du Premier ministre qui est de 70.000 DH par mois. Le ministère le plus démuni reste sans conteste celui de la Communication. Considéré comme la cinquième roue du carrosse gouvernemental depuis qu'il a pris son autonomie par rapport à l'Intérieur il y a une décennie environ, il dispose d'un budget de fonctionnement annuel d'à peine 11 millions de Dh. Une misère qui le condamne parfois à quémander chez les autres administrations les fournitures de bureau pour s'acquitter de son travail quotidien. Les directeurs de ce département sont les plus lésés de tous. Alors que leurs collègues des autres ministères trouvent par exemple à leur disposition des voitures de service avec chauffeurs là où ils débarquent au Maroc, eux en sont réduits à se faire transporter comme s'ils étaient des invités-surprise. Les directeurs des autres ministères, évidemment moins gâtés financièrement que leurs collègues du budget, se débrouillent comme ils peuvent pour tirer profit des largesses du Royaume. Les départements les plus riches sont ceux qui contrôlent des offices et des établissements publics réputés être des pompes à fric comme la Pêche, le Transport, l'Habitat, l'Agriculture et l'Équipement… Le ministre de tutelle en général a un boulevard devant lui, dépourvu de tout poste de contrôle, pour mettre à contribution les directeurs de ces offices quand il s'agit de payer ses “frais de bouche“, financer ses voyages et prendre en charge ses multiples desiderata… Rien ne l'empêcherait, sinon sa conscience, de vivre aux frais de la princesse. Gare au patron d'office récalcitrant. Il risque de se faire éjecter. Une situation qui s'accommode d'une gestion opaque des deniers publics et de tous les abus financiers imaginables. “Pour ne pas avoir à taper directement dans la caisse au risque de se faire prendre, explique un connaisseur de ces arcanes insondables, les plus malins créent leur cassette personnelle en mettant en place des mécanismes de financement occulte et détourné à travers l'octroi de marchés publics par exemple. Un vieux routier de l'administration marocaine trouve que ces pratiques se sont imposées comme allant de soi. Puisque à ses yeux, la rationalisation des dépenses publiques relève toujours du domaine de l'incantatoire tant que les outils d'un contrôle effectif, tout comme le système de mérite et de sanction, feraient défaut. Le fameux projet de déclaration du patrimoine des ministres, réactivé par Abderrahmane Youssoufi dès son arrivée à la primature, a du mal à voir le jour. Il dort d'un sommeil profond dans les tiroirs du secrétariat général du gouvernement. Apparemment, la vertu et l'intégrité de l'ex-Premier ministre ne sont pas partagées par tout le monde. Driss Jettou, dont la moralité n'a jamais été démentie, saura surveiller la ligne de l'État et introduire une bonne dose de moralité et de transparence dans les veines de son nouveau cabinet.